Amalka

So many women so little time

Ça  va, elle ne rêve pas de lui.

Il s’en va déjà, il la quitte, il part, sa chaleur s’éteint, laissant place à la sienne, à sa peau, seulement mouillée par le soleil.

Son ventre le laisse partir, deux jours durant, et les battements de son cœur résonnent encore en elle, alors il se noue à son corps et à son insu, provoquant douleurs et crampes.

Mais il faut bien se rendre. Et ce matin, elle n’a plus mal. Il faudrait le raconter de manière objective, en faire un scénario, le troisième œil, les faits: elle, mais désincarnée. Au lieu de se déshabiller. Pourquoi cette pudeur, pourquoi?
Pour ne pas attiser la flamme, pour ne pas rendre ardents les charbons. L’est-elle, ardente? L’est-elle seulement?

Les hommes qui la font devenir chatte, ronronnante, rugissante, morsures, douces griffures le long des bras, du dos, entre les seins, sur la peau, la peau, ce prodige, mais ils ne se connaissent pas.
Des envies qui la dépassent, leurs halètements partagés, lèvres frôlées, respirer par sa bouche. Un constat comme un choc. Un abasourdissement et toujours toujours, une petite pointe de cinéma. Par moments.

Le goût du pull dans la bouche. Coton. Elle est allergique à la laine.

La manière qu’il a de la faire prisonnière, lorsque le fantasme devient réel et la conduit à l’abandon. Les mains jointes réunies en suppliante prière à un Dieu absent, à un homme dont le poids adoré l’écrase.

Le tumulte du cœur parcourant tout son corps et battant le tamtam sur le sien. Elle aurait pu rester ainsi la vie? des heures? Et il le savait bien.

Changement d’attitude – avant, après la visite à l’endroit magique, car il s’en trouve encore.
Le jeu de la femme gâtée, désirée, habituée, même si sincère. Un jeu vaniteux, non nécessaire, un jeu qui déjà ne lui plaisait plus.

Plusieurs manières d’appréhender ses « non ». Certains y voient un jeu, d’autres y croient dur comme feu, ça en fait rire certains et parfois, il y a en un ou deux pour évidemment l’entendre crier « oui ».

Le cria-t-elle? Non, sans doute pas… Mais elle fut surprise qu’il voie cela en elle, et touchée, de comprendre pourquoi.

Une nuit.

Un mur.

Un mois de juin.

 

"So Many Women, So Little Time"- copyright: Jan Saudek
« So Many Women, So Little Time »- copyright: Jan Saudek


« Selma » d’Ava Marie DuVernay

Bientôt, nous serons libres.

Nominée aux Golden Globes en tant que Meilleure Réalisatrice, Ava Marie DuVernay nous offre ici un film historique, pédagogique, sur l’un des mouvements civiques les plus fondamentaux de notre Histoire.

Etats-Unis d’Amérique. Il y a tout juste cinquante ans, en 1965.

Deux ans après l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy qui avait milité contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Deux ans après le discours de Martin Luther King: “I have a dream”.

La population Afro-Américaine est légalement autorisée à voter depuis 1870, d’après le VIème amendement de la constitution.

Mais dans le Sud, il n’en va pas si simplement pour les citoyens noirs: les lois “Jim Crow”, parfaitement arbitraires, rendent leur accès au vote pratiquement impossible en leur imposant des interrogatoires faussés, ainsi qu’une taxe que nombre d’entre eux n’ont pas les moyens de payer.

C’est alors que Martin Luther King choisit de mener une lutte déterminée et pacifique contre le bafouement des droits des citoyens américains de peau noire, contre la passivité de Lindon B. Johnson (Tom Wilkinson) et le racisme assumé de Georges Wallace, le gouverneur de l’Alabama (Tim Roth).

Le 7 mars 1965, 600 manifestants pour le droit de vote des Afros-Américains se mettent en marche depuis Selma. Dans cette ville d’Alabama, seul 1% de la population noire (qui représente pourtant plus de la moitié des habitants locaux) est inscrite sur les listes de votes. Leur but est d’atteindre Montgomery, capitale de l’Etat.

Mais de l’autre côté du pont qui mène à la ville, ce sont des centaines de policiers qui attendent ces hommes et femmes venus lutter pour leurs droits civiques, avant de fondre sur eux, armés de matraques et de gaz lacrimogène. Le nombre de blessés donnera à cette journée historique le nom de “Bloody Sunday”.

C’est sur ces évènements fondamentaux qui ont marqué l’Histoire universelle que revient la réalisatrice Afro-Américaine Ava Marie DuVernay, qui avait notamment réalisé “Middle of Nowhere” en 2012 pour lequel elle avait remporté le prix de la Meilleure Réalisatrice au Festival de Sundance, devenant la première réalisatrice de couleur à remporter ce prix.

Elle donne le rôle de Martin Luther King à David Oyelowo (“Interstellar”, “The Last King of Scotland”) qui parvient à retranscrire la dignité et la ferme résolution du grand homme. Si sa diction particulière est parfois un rien guindée, nous adhérons à la fougue des discours qui écrivirent l’Histoire.

C’est là ce qu’est avant tout Selma: un cours d’Histoire qui nous permet de nous replonger dans ces événements terribles et fondamentaux, qu’il ne faut avoir de cesse de raconter aux générations futures, pour ne jamais oublier ce qui constitue les piliers de notre société, ce qui est encore bien trop souvent bafoué et foulé aux pieds.

Selma est un film sur la dignité humaine, sur le droit de l’homme à être libre, et à vivre dans l’égalité, et le respect de l’autre.

De facture classique, c’est par ce qu’il retranscrit de l’Homme et de son Histoire, bien davantage que par sa réalisation elle-même, qu’il nous touche, nous choque, nous révolte et nous marque.

La palette chromatique de la photographie alterne entre des tons caramels, ocres, chocolat, lorsque Martin Luther King et les siens se rassemblent et mettent sur pied leur stratégie pacifique et digne, la lutte déterminée pour laquelle ils sont prêts à laisser leur vie. Le constraste est cinglant d’avec la lumière aveuglante et blanche de la rue, lorsque tous se rassemblent pour marcher avec calme et courage face à ceux qui les considèrent comme des non-hommes, face à ceux qui veulent leur interdire de vivre.

Un film à montrer à nos enfants et aux prochaines générations pour ne jamais oublier mais continuer de dénoncer.

Selma-cast


« Wild » de Jean-Marc Vallée

Hollywoodienne randonnée

Après avoir été couronnée en 2006 par l’Oscar de la Meilleure Actrice pour “Walk the Line”, Reese Witherspoon revient sous les projecteurs d’Hollywood avec le personnage de Cheril Strayed qu’elle interprète dans le film “Wild” dont elle est aussi la productrice.

Le halètement d’une femme qui marche se fait entendre en off, tandis que nous contemplons la beauté de massifs rocailleux baignés de soleil. Une chaussure entre dans le cadre, pour venir occuper le premier plan: c’est celle de Cheryl Strayed (Reese Witherspoon), vêtue d’un mini-short dont s’échappent deux longues jambes galbées et couvertes de bleues.

Cheryl crie de douleur en ôtant son autre soulier, et découvre l’étendue du désastre: son ongle d’orteil ensanglanté ne tient plus qu’à la racine, et c’est en se répétant un mantra, entre deux respirations saccadées – “I’m gonna be a hammer, not a nail” -, qu’elle l’arrache d’un grand coup sec.

La douleur fait basculer la jolie blonde contre son sac à dos, gigantesque et plus lourd qu’elle-même, et sa première chaussure, alors déséquilibrée, tombe dans le ravin.

Cheryl, à bout de forces et ne pouvant y croire, la regarde rebondir sur les rochers, avant de hurler un retentissant “Fuck youuuu, biiiiitch!” qui vient troubler le silence de la paisible et magistrale nature alentour.

Le décor est campé: nous sommes avec cette jeune femme émotive, impulsive mais déterminée, dans les hauteurs du Chemin des crêtes du Pacifique, ce trek de plus de 4000 kilomètres qui s’étend de la frontière mexicaine à la frontière canadienne.

 

Cheryl Strayed a véritablement existé, et c’est de son ouvrage autobiographique “Wild: From Lost to Found on the Pacific Crest Rail”, que le film s’inspire.

Lorsque la jeune auteur l’envoie à Reese Witherspoon avant même qu’il ne paraisse, l’actrice en acquiert immédiatement les droits à travers sa société de production Pacific Standard, s’attribue le rôle principal, et en confie l’adaptation à Nick Hornby (“High Fidelity”) et la réalisation à Jean-Marie Vallée, le réalisateur québécois de “Dallas Buyers Club” et de “C.R.A.2.Y.”

Ces derniers choisissent de suivre la structure du récit d’origine et de parsemer le trek de flash-backs, de manière à progressivement permettre au spectateur de se faire une idée de qui est cette Cheryl, et de ce qui l’a conduite à relever le défi de parcourir à pied pendant trois mois la côte Ouest des Etats-Unis. Jean-Marie Vallée joue sur les associations d’idées, sur la juxtaposition d’images et de sons, allie monologues intérieurs brefs et souvenirs de conversations passées pour explorer la solitude, la mémoire, et la volonté qui est celle de Strayed de reprendre son destin en main.

On aimerait croire à un nouveau “Into the Wild”, mais force est de constater que Vallée s’appuie ici sur les ressorts habituels du mélodrame hollywoodien, que certaines faiblesses persistent et que l’histoire de Cheryl Strayed reste relativement convenue, sans que son traitement ne parvienne à dépasser cette banalité.

Toutefois, si le personnage de la mère de Cheryl (qui valut à Laura Dern une nomination aux Oscars pour la Meilleure Actrice dans un Second Rôle) commence par nous irriter avec son optimiste constant et à outrance,  les deux comédiennes parviennent finalement à créer une relation mère-fille crédible, un rapport fait d’amour et de honte, de comparaison et de filiation, de reproches et d’admiration, qui constitue sans doute ce que le film a de plus marquant et de plus réussi.

 

 

 


Fantom Umzug

Je décroche la moitié de la sphère bleue accrochée au clou, tout en haut, contre le plafond.

“Ist das Kunst oder kann das weg?”, se moque l’employé de la société que nous ne payons pas, qui nous a été imposée.

Par terre, de la poussière qui se mêle aux cheveux, de la mitraille et des confettis. Plein.

Nous quittons l’appartement.

Banana Jo a été emporté, Gulliver est décédé, c’est Serge qui l’a remplacé, et Hip & Hop, les deux bambous, survivront peut-être à l’hiver. Où? Sur ce nouveau parquet lustré, de l’autre côté.

Nous quittons l’appartement.

Les murs sont blancs, dénudés, le papier peint s’arrache par endroits. Il y a de l’écho dans les pièces de nos vies, et je me sens étrangère chez moi.

Chez moi.

Depuis quand?

 

Kartons

Il est huit heures du matin et au-dessus du balcon pend une guirlande de perles, souhaitant en lettres colorées un joyeux anniversaire à une autre que moi.
Elle est blonde et je ne la connais pas.

Il est huit heures du matin et sous ma paume commence à chauffer le faux-cuir du canapé qui ne m’appartient pas, sur lequel nous nous sommes blottis, moi et lui.

Lui et moi dans cet espace à présent vide.

Se battre pour vivre à deux, faire la guerre pour avoir la paix, sans la déclarer, sans tomber dans l’atrocité, les coups bas, le tout est permis: faire la guerre sans laisser de traces, sans saboter le bateau, sans se tirer dans le pied une balle qu’on ne pourra ôter. Faire la guerre, tenir bon et son rang, ne pas détruitre ce lieu, ne pas effacer le petit matin où le crépi du mur dessinait pour moi un nouveau jour heureux, non plus que la nuit où finalement j’ouvris les yeux.
Oui… Toi. Reste un peu…

Nous quittons l’appartement, car en son sol est un venin, un poison qui le ronge chaque jour.

Non plus la guerre, non, non plus le passager clandestin.

C’est l’amiante, mon amour, qui nous étouffe la nuit, l’amiante qui fait gonfler mes paupières, rougir la racine de mes cheveux. C’est l’amiante qui vient nous menacer, l’amiante, et non le passé.
Le passé est effacé.

Je ne vis plus dans ton vécu, dans ces années qui me faisaient trembler: 2006, 2007, 8, 9, 10. C’est le 11, chiffre aimé, qui est venu les remplacer, le 12, le 13, le 14. Le 15. Aujourd’hui. Oui. Nous déménageons. Trois semaines. Le temps de la rénovation.
Trois semaines sur le nouveau balcon, depuis lequel nous contemplons le nôtre.

– T’as entendu parler des membres fantômes?
– Quand on ampute un membre, mais que l’on ressent encore de la douleur dans le membre disparu?
– Oui. Et bien moi j’ai un “Fantom Umzug”: je n’ai rien soulevé, rien transporté, et pourtant je suis épuisé.

C’est parce qu’ils ont déplacé les esprits, fait disparaître les revenants.

On est mars 2015, mon amour, près de Hip, face à Hop, ensemble, et sous Banana Jo.

 

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« Whiplash » de Damien Chazelle

Tu deviendras Charlie Parker, mon fils

Le film qui a raflé les Oscars du Meilleur Acteur dans un Second Rôle, Meilleur Mixage Sonore, et Meilleur Montage divertit, mais ne bouleverse pas.

Qu’est-ce qui fait le génie, le talent? Faut-il croire en soi, être soutenu dans le plaisir et la créativité, ou suer sang et eau dans la rage et la révolte pour parvenir à ce qui fera de nous une star, une légende?

Long travelling avant dans un couloir. Nous approchons d’Andrew Neiman, qui s’entraîne seul sur une batterie du Schaffer Conservatory of New York, l’une des meilleures écoles de musique du pays.
Il est pris par son jeu, passionné par le rythme et le roulement qu’il parvient à tirer de la peau tendue de ses toms et de sa caisse claire. Plongé dans l’effort et la concentration, il remarque trop tard n’être plus seul dans la pièce: un homme est entré, grand, musclé, le crâne rasé, entièrement vêtu de noir, qui se tient devant lui, droit, et le regarde. Cet homme, c’est Terence Fletcher (J.K. Simmons, dans le rôle qui lui valut l’Oscar du Meilleur Second Rôle), l’un des professeurs les plus connus et les plus redoutés.
Aussitôt, un rapport particulier s’instaure; un échange fait de questions, de provocations, d’ordres: “Montre-moi ce que tu sais faire: Double time swing.”
Le bras levé, dans un geste qu’il répétera tout le long du film, le muscle bandé, les veines saillantes, il contrôle la musique, la fait naître ou cesser selon les mouvements de sa paume, les tensions de son poing.
Fletcher a une obsession, une idée directrice: repérer les meilleurs musiciens et leur faire dépasser leurs limites.
Une anecdote le conforte dans cette mission qu’il s’est donnée: celle qui veut que Jo Jones ait un jour lancé à la tête de Charlie Parker une cymbale, pour le punir de la médiocrité de son jeu. Parker, accablé, rentra chez lui pleurer toutes les larmes de son corps, mais au réveil le lendemain, se remit au travail et joua sans relâche jusqu’à devenir le “Bird”, et à trouver sa place parmi les étoiles.

C’est là la motivation profonde du personnage de Fletcher: faire naître les Parker et les pousser à bout, pour leur faire découvrir ceux qu’ils sont réellement. Mais c’est là aussi que le film trouve ses limites, en flirtant parfois avec la caricature dans le traitement de cette thématique universelle.
Chacun de nous a connu de ces êtres violents qui usent et abusent de leur pouvoir pour humilier, blesser, briser. Fletcher hurle, injurie comme le Sergent Hartman dans Full Metal Jacket, casse, fait jouer ses musiciens jusqu’à ce que les cymbales se couvrent de leur sueur, et les peaux tendues de leurs instruments de leur sang.
Ce sont ces rapports de haine, de fascination réciproque et perverse, qui nous touchent et nous intéressent. Mais l’exploration de ce sujet passionnant reste superficiel, les rôles relativement figés dans la convention, l’attendu.
Réalisé dans un montage efficace, “Whiplash” divertit sans éblouir, prend sans surprendre.
Si le film traite du génie de manière un tant soit peu stéréotypée (“il faut souffrir pour accoucher de son talent”), il en manque lui-même pour véritablement marquer l’histoire.
Un film qui remplit sa mission, celle de divertir un public divers et large, mais sans véritablement se plonger dans ce qui fait la grande et belle complexité de son sujet.

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« Taxi » de Jafar Panahi

« Taxi » de Jafar Panahi remporte l’Ours d’Or à la 65ème Berlinale.

Tourné illégalement à bord d’un taxi sillonnant les rues de Téhéran, c’est le 3e film du réalisateur iranien Jafar Panahi depuis son arrestation en 2009.
Des chadors, des jeans, des sacs à dos.
Des voitures.
Le cadre jaune d’un taxi.
Nous devinons sous les foulards les chignons relevés, permettant au hijab de ne pas glisser.
Téhéran. Dans le taxi de Panahi.
Panahi qui, interdit de filmer, de voyager, de s’exprimer, n’est pas venu présenter son film à la presse et au public, non plus que récupérer son prix, qui fut remis à sa petite nièce sur la scène du Berlinale Palast.
Panahi qui, pourtant, ne vit que pour cela: le cinéma, les films, le partage d’idées.

Il brave donc l’interdit, à nouveau, comme après «Ceci n’est pas un film» (2011), dont on dit qu’il était parvenu à Cannes sur une clé USB cachée dans un gâteau, ou «Closed Curtain», qui remporta le Prix du Scénario à la Berlinale d’il y a deux ans; films qui furent entièrement tournés dans le plus grand secret, l’un depuis l’appartement du réalisateur qu’il avait alors l’interdiction de quitter, l’autre dans sa maison de vacances de la mer caspienne.

Cette fois, c’est dans le huis clos d’un taxi que Panahi explore son pays, sillonnant les routes de la capitale iranienne, et élaborant une savante mise en abyme, où il s’interroge sur les thématiques qui ne lui sont pas seulement familières mais qui, on le ressent en notre chair, sont sa vie, son souffle, sa fureur d’exister.

Le chauffeur de taxi Panahi (sa casquette vissée sur la tête pour ne pas être reconnu) prend à bord deux passagers. L’un deux s’empresse d’examiner la caméra fixée au tableau de bord (comme l’était celle, en 2002, de son compatriote Abbas Kiarostami, pour son impressionnant «Ten» qui traitait en dix scénettes de la condition de la femme en Iran), pour la braquer vers l’intérieur du taxi, devenant l’espace d’un instant, chef-opérateur du film. Avant de se lancer presque immédiatement dans un premier débat brûlant sur la société, et l’Iran.
Un troisième passager s’invite alors à bord qui s’exclame en souriant: « Monsieur Panahi? je vous reconnais, même avec votre béret! Vous êtes en train de faire un film, n’est-ce pas? »
Panahi est démasqué. Ce film, il est pensé, mis en scène, orchestré.
« Vos deux passagers, là, c’était des acteurs! », rit celui qui se prénomme « Omid Filmi », vendeur au noir de DVDs, qu’il a justement sur lui.

Panahi ne traite ici pas seulement de cinéma ou de désir de films, il traite aussi de la censure et de la répression qui sévissent en Iran, sous tous leurs aspects, toutes leurs formes, et va même jusqu’à faire énumérer par sa petite nièce les différentes règles de la censure, apprises à son cours de réalisation : respect du foulard islamique, interdiction de montrer de la violence, ou un « réalisme sordide », interdiction de donner aux « gentils » des noms iraniens ou de leur faire porter une cravate, interdiction d’évoquer la politique, l’économie…
Sans ces règles essentielles, tout film sera considéré comme « impossible à distribuer » : « Tous les réalisateurs savent cela, et pas toi? » se moque la ravissante petite, qui a elle-même pour projet de tourner un court métrage à l’aide de son petit téléphone qu’elle braque sur le monde, à travers la vitre du taxi de son oncle.

Un film qui jamais ne tombe dans le mélodrame mais se moque du surjeu, joue avec les codes, parvient à faire rire son spectateur de l’enfer qu’il dénonce ici. Un film qui toujours se soucie de son rythme et invente une nouvelle manière de raconter des histoires, en s’appuyant sur le cadre terrible de la censure pour dépasser les schémas traditionnels de la narration, et aller plus loin dans l’expérimentation cinématographique.
Un pamphlet, une comédie, un docu-fiction scénarisé, qui nous montre les mille et une facettes de l’Iran avec justesse, humour et délicatesse, dans une déclaration d’amour à ce qui fait la vie de Panahi – le cinéma, et son pays, dont il est le prisonnier.
Un film d’un courage remarquable qui fut salué par les applaudissements soutenus du public, lors de sa première projection à la Berlinale.
Un film à voir, à soutenir, à célébrer.

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L’histoire du téléphone

Mai 2014. Paris.

Je descends dans le RER pour retrouver des amis.
En retard et dans la précipitation, je fais, comme d’habitude, n’importe quoi: mon petit sac est bien trop petit pour tout ce qui y est fourré, et il me faut, pour accéder à ma carte de crédit, sortir mes clopes, mon petit téléphone de voyage pourri – celui qui décapsule les bières, résiste à toutes les chutes et a fait quatre continents -, le cadeau que je veux apporter à mon amie, tout en essayant de maintenir en équilibre la hanse de l’autre sac, plus lourd, qui se casse doucement la figure depuis mon épaule vers mon avant bras. Porte-monnaie coincée entre les dents, les mains pleines, j’arrache d’un geste nerveux mes écouteurs du dernier doigt libre qui me reste pour arrêter la techno et mieux me concentrer, finis enfin par réussir à acheter mon billet.
Mon sac à nouveau plein à craquer, je remets mes écouteurs aux oreilles.
Silence.
Bizarre, ça.
Je cherche mon téléphone, le vrai, dans la poche de mon manteau, et découvre alors, misérable et pendant, le cordon de mes écouteurs, blanc, pâle, dans le vide.
Plus de téléphone. Disparu. Volé.
Super, mon cher.
Samedi dans le RER, , adieux veaux, vaches, cochons sur le grill de l’amitié, il me faut faire demi-tour, mes amours – point de barbecue au vert, de fraîcheur des bulles en campagne, il faut retourner sur ses pas, rentrer chez soi, faire ce qu’il faut: opposition à tout ce que ce stupide téléphone, réceptacle de ma vie entière, contenait.

Ah! Si je le tenais…

Je peine à y croire, tourne en rond, fais du sur-place, vais me plaindre au vendeur de journaux pour qu’il me confirme lui-même que oui, si je ne l’ai plus, c’est qu’il a bien disparu ce téléphone, et qu’il faut vite faire le nécessaire. L’entendre de la bouche d’un autre finit par me donner le coup de fouet que j’attendais: je renonce à revoir l’éclair rouge de la protection faux cuir à 2,50 euros qui l’enveloppait– il faut partir, y aller, sans regrets.

Quelques jours plus tard. Chez moi. Nouveau téléphone, moins bien, moins cher.
Je me connecte à Icloud pour cette fois-ci activer ce fameux “Find my phone” que j’avais omis d’installer la première fois.
Sur la carte de localisation, un point se dessine: oui, je suis bien là où je suis, c’est mon téléphone qui me le dit.
Mais tout d’un coup, surprise, la carte change, et l’échelle s’agrandit. Nous bougeons dans l’espace intersidéral jusqu’à atterrir à Paris, un vertige me prend, un point vert apparaît, qui clignote, alors que s’affichent ces termes abstraits: BIG BOSS.

Je suis ici, et là-bas. Partagée. Don d’ubiquité.

Sur mon téléphone, de nouvelles photos s’affichent.
Il y a là des images obscènes, d’autres kitchs, qui semblent avoir été prises sur internet.
Il y a aussi des selfies inutiles qui me montrent la tête de mon voleur, sa moue distante, froide. Mon coeur bat.
Novice de la technologie, je suis sous le choc, quand mon téléphone, le nouveau, sonne.
“Numéro anonyme”.
Persuadée que Big Boss m’a localisée puisque je le lui rends bien, je décroche. Une voix masculine, grave, se fait entendre: “Allô?”
J’attends, la gorge nouée, qu’il annonce les termes du contrat.
“Mélie?”
Quelque chose ne va pas… Cette voix… cette voix, c’est…
“Papa?”

C’est mon père, oui, qui m’appelle par Skype. Je lui raconte, soulagée, la méprise, et décide sur le champ de bloquer le téléphone dudit “Big Boss”, mon voleur qui, je le vois, habite ou travaille à Vincennes.
Je découvre aussi la fonction qui permet de faire apparaître un message sur l’écran du portable volé, et prends alors plaisir à cette situation grotesque, en changeant de texte régulièrement :
“Big Brother is watching you, mon chou.”
“I know what you did last week-end.”
“Beware… we’re after you…”

La minute de triste hilarité passée, je me retrouve devant le pied du mur: le type s’est mis hors-ligne, plus moyen de le localiser, et puis avouons-le nous, peu de chance de pouvoir changer quelque chose à l’affaire, étant donné que je n’ai fait aucune déclaration de vol nulle part, horreur de la paperasse oblige.
J’écris un dernier message sur l’écran, expliquant que le téléphone a été volé, et donnant un numéro où me contacter.

Quelques mois plus tard, je reçois un message bourré de fautes dans lequel on m’explique avoir échangé son téléphone contre le mien qu’il faudrait que je débloque. L’échange est nerveux, et la personne ne veut rien entendre. Alors que je cherche à établir une négociation, elle répond soudain: “Tfassons je l’ai plu.
– Vous n’avez plus le téléphone?
– Non.
– Ah oui. Intéressant. »

Des mois passent à nouveau. 2015. Plus de débardeurs mais des doudounes. Anniversaire d’une amie la veille, on est samedi, je suis dans mon lit, le crâne douloureux. En allant me chercher une aspirine, je passe distraitement à côté de mon téléphone français qui gît sur un canapé, intouché, depuis des jours.
Messages, et appels en absence.

“J’ai acheté votre portable sur leboncoin.fr. Il est bloqué, j’ai besoin des identifiants.”
Mon coeur bat doucement. L’appât est là, je pourrais le récupérer, ce foutu truc.

Cette histoire me met mal à l’aise. Savoir que je pourrais récupérer ce téléphone et tout ce qu’il comporte de souvenirs, photos que je n’avais pas pris le temps de sauver, m’irrite et me laisse une boule au ventre. A nouveau, me voilà qui dépends d’un inconnu, de sa raison, de son bon vouloir, de l’échange qui va s’établir entre nous.
Ne vaudrait-il pas mieux passer l’éponge, ce n’est qu’un stupide téléphone après tout ?
Ah, ces nouvelles moeurs qui veulent qu’un idiot gadget devienne l’un des centres de notre vie, de notre passé, de nos émois, de nos secrets…

Nous entamons une discussion: le téléphone a été acheté sur le boncoin.fr – Arnaque. J’explique mon côté de la situation, tente la négociation : soit je rachète le téléphone, soit c’est lui qui m’achète son déblocage. « Combien? » Je donne un prix. Correct, mais pas négligeable.
Sachant qu’il a déjà payé le téléphone sur le bon coin pour rien, l’homme réagit. Normal.
Je tiens bon. Ce téléphone, soit je le rachète, soit je le vends, mais c’en est fini du vol et de l’arnaque. Je le vendrai à mon prix, juste, décent, et ne le braderai pas. A prendre ou à laisser.

Nous négocions plusieurs jours.
Des rendez-vous sont pris, Place Clichy, avec des amis, pour que l’homme et les miens se rencontrent: argent contre identifiants.
Les rendez-vous sont annulés, au dernier moment: “J’ai plus l’argent sur moi. J’ai pas un tel budget. Je peux pas.”
Nous échangeons des dizaines de mails, entre deux rendez-vous, cinq réunions.
A chaque fois, mon ventre se serre. L’homme a trois noms, trois adresses mail différentes. S’engage, pour me planter au dernier moment. Fait des manœuvres louches sur Paypal. Revient à la charge, se fait plus agressif, plus exigeant.
Je demande avis autour de moi: on me dit que ça sent l’arnaque à plein nez.
Je tiens bon. M’énerve. Dix jours de négociation! Nos échanges sont nerveux, désagréables, brefs, sarcastiques, tranchants. Parfois menaçants.
Finalement, l’homme me pose un ultimatum. Je ne réponds pas, trop énervée par ce marchandage et par cette tonne de mails allant dans un sens, puis dans l’autre. Nous tournons en rond, perdons du temps, et je me sens ridicule d’être encore toujours aussi attachée à cette histoire. Je voudrais en finir, mais rien ne me le permet.

Soudain, nouveau mail: « Je vous ai viré la somme sur Paypal. Regardez. »
En effet, la somme y est. Complète, par moi arrêtée.
Je ne comprends pas. Pourquoi me virer un chiffre plus important que le dernier proposé, sans garantie aucune que j’agirai? Certes, dans l’urgence de mes journées, j’ai fait la bêtise de répondre depuis mon mail original, celui dans lequel est affiché mon nom complet, ainsi que la couverture de mon livre et un lien vers ce blog que je tiens.
Facile, à présent, de me retrouver, de savoir qui je suis, où je vis. Mais après tout, nous sommes tous sur internet, fichés, identifiés. Moi seule ne sais toujours pas à qui je m’adresse, à qui je parle.
Et cet inconnu m’a viré la somme voulue sur Paypal.

A nouveau, je demande avis. On me répond de tout: « Vas-y, débloque-le, ton tel. » « Nan, surtout pas, c’est un hacker qui en veut à ton compte en banque, change tes identifiants, et ne verse rien à personne. »

L’inconnu, lui, me presse: “Je pars en vacances demain, débloquez-tout ce soir.”

« Non, réponds-je. Je ne débloquerai rien avant d’avoir l’argent sur mon compte. Si vous étiez si pressé, il fallait être au rendez-vous avant. Cela va prendre 3 à 5 jours ouvrés. Je vous contacte quand c’est fait. »

Les jours passent. J’ai des mails chaque jour. Je m’énerve, deviens méchante: “Peut-être ne comprenez-vous pas ce que « ouvrés » veut dire?”
Je me méprise de prendre ce ton hautain, constate à nouveau l’ampleur du stress qui monte en moi à chaque fois qu’un nouveau mail tombe.
Je trouve déplorable toute cette arnaque, ce manque de confiance, cette suspicion. J’aimerais juste en finir, oublier ce foutu téléphone, faire ma part du boulot, et donner raison à ceux qui pensent que le type est honnête et qu’il a rempli sa mission.

Les trois jours ouvrés sont passés, le week-end aussi, et je veux en finir.
Je donne à l’homme un dernier rendez-vous sur Skype : je suis trop curieuse de voir qui il est, comment il s’exprime autrement que par écrit, de comprendre sa psychologie.

Il n’est pas au rendez-vous, mais continue de m’envoyer des messages par mail. Il a réinitialisé le portable depuis son ordinateur, et m’a envoyé des photos pour le prouver. Je n’ai pas le moyen de vérifier qu’elles sont véridiques, mais l’argent est arrivé, et c’est à mon tour de remplir mon terme du contrat.
On continue de me déconseiller de le faire, mais je ne veux pas être à mon tour injuste et arnaquer cette personne qui m’a fait confiance, en me virant cet argent.
Je lis sur internet les risques qu’il y a à débloquer son téléphone à distance, les failles qui peuvent être rencontrées.

Tant pis. Je me suis engagée.
Je repense aux photos, aux mails, à cette sphère privée…
Pourvu que le déblocage à distance marche, que l’inconnu ait bien tenu parole…

Je lui demande de m’envoyer une photo m’assurant que le téléphone est débloqué, et que tout a bien été réinitialisé, sans traces de mon passé.
Ce qu’il fait.

Un grand soulagement me prend. Tout semble bien se terminer, finalement.
Je pose alors cette dernière question, celle qui me brûle depuis plusieurs jours : Pourquoi m’avoir fait confiance et m’avoir viré l’argent sans garantie aucune ?

Il répond : « J’en sais rien. Je voulais pas, et puis je suis allé faire un tour là-dessus : https://etageres.mondoblog.org. »

Mon blog, donc, dont l’hyperlien figure dans ma signature.

Je ris, lui souhaite de bonnes vacances, et réponds que je ferai de cette anecdote une petite histoire, sans citer son nom.

C’est tout de même vraiment bon que de faire confiance sans raison.

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A Yemanja je m’en remets

L’eau ruisselle sur une surface plane, ouverte, probablement du carrelage. Il y a cet écho particulier qui fait penser que la pièce est grande, vide, peut-être une fontaine dans le hall d’un bel immeuble, quelque chose comme un puits de lumière, avec des plantes tout autour, un « mur végétal intérieur », comme on les appelle, et, du ciel, viendrait couler cette eau que l’on entend, cette eau que l’on imagine.

Elle sort de la mer, nimbée d’une lumière bleue.
De ses mains, de ses longs doigts fins, s’échappent coquillages et étoiles de mer.

Aujourd’hui 2 février ils viendront lui apporter par milliers des présents, qu’ils déposeront dans ces mêmes vagues qu’ils ont sautées pour elle, sept fois, le soir du 31 décembre.

Yemanja.
Déesse de la mer.

Yemanja

Nous marchons vers la plage, avec la petite aux yeux d’amande, et aux longues boucles brunes.
Son regard se fait espiègle et elle tente d’en savoir plus :

– Mais Yemanja c’est la déesse de l’eau alors ?
– Euh… oui… C’est la déesse de l’eau, oui. De la mer, de l’océan…

Le chemin est boueux, longé ça et là par les prairies normandes, gorgées de l’eau des dernières pluies.
Devant nous, l’inégalité de la route a creusé de grands trous, désormais emplis d’une eau brunâtre et opaque.

– Mais alors, c’est la déesse de la flaque, aussi ?

Je regarde cette surface morose, boueuse, triste.

La petite prend l’un des cailloux qu’elle avait dans sa poche, et le lance. Il tombe dans la flaque avec un bruit lourd, le bruit de la mort.

– Non, c’est pas Yemanja, ça ! Je la déteste !, lance-t-elle à la flaque, à présent sûre d’elle et méprisante.

Je ris.
Nous nous avançons vers la véritable, la vivante, la mouvante, la mer, celle qui sans cesse ressasse nos sentiments, refoule nos pensées morbides, nous insuffle la vie, et son sens.

La mer.

Celle dans laquelle il perdit la sienne.

Plus jamais immobile, enfermée, dans cette maison pankowienne. Plus jamais seule, ne sachant plus qui elle est, qui elle a été. Plus jamais ce petit rire, aimant, fou, et répété, ce rire comme une cascade intarrissable, au roulement perpétuel, infini, blessant, blessé.

Elle est à présent libre, à Yemanja confiée, et dans l’eau vient se refléter la voie lactée que les poissons prennent pour des insectes de lumière, venus les tenter de clarté, quand sous nos yeux ils pêchent les étoiles.

Yemanja, déesse de la mer
Yemanja, déesse de la mer


Les amarres

Non.
Je n’aime pas ça.
Non.

J’aime pas les voir affichés, bourrés, bronzés.
J’aime pas les voir en colonie, amoureux, égarés.
Sous un palmier, sur une moto, dans un lac, près de chevaux.

L’aventure les gars, vous, l’avez oubliée ?

Celle où on est DÉ-connectés ?

Celle où personne, jamais, ou presque ne viendra nous (géo)localiser ? Nous surliker, nous commenter ?

Adieu Facebook, Snapchat, Messenger et autres Viber ! Laisser son smartphone au placard et s’envelopper de sa moustiquaire !

Katrina sérieux ? L’Etat islamique ? Charlie ? Mais de quoi tu me parles ? 24 h sans wifi, je débarque, j’ai rien compris.

La vie 2.0 mon ami : je n’en veux pas, je ne l’aime pas.

Oui elle me sert et m’est bien utile, mais dans son fond : horreur, affront, aberration.
Elle tue dans l’œuf les valeurs du voyage, rend l’ailleurs impossible, avorte l’aventure, Arthur…

Qui me comprendra, qui m’approuvera ?
Quand tous y vont de leurs posts de vacances, même les plus proches ?

Sortir de l’injure aller vers l’épure sans arrêter rien, simplement continuer le voyage, le vrai, celui où on largue les amarres…

Les amarres, Edgar, tu te souviens ?

 

jungle


Le pays où l’on n’arrive jamais

Un feu dans la cheminée, du cidre sur la table.

Je me l’étais imaginé autrement…

Je les vois, elles sont voilées, le soleil sur leurs beaux visages.

Mon cœur, petit, serré, si douloureux dans ma poitrine.

Je me réveille en sursaut : Où ? Je pars ?

Je pense à ma mère, à mes parents. Je pense à ma famille.

Non. Je ne pars pas.

Une petite fille rêve d’un poisson rouge. Elle le désire plus que tout autre chose. Sa mère tente de lui expliquer qu’elle en a déjà bien assez, dans le bassin du jardin.
Mais la petite fille ne peut pas oublier : ce poisson rouge, si beau, si joufflu, en si bonne santé, ce poisson rouge aux écailles dorées, c’est désormais toute sa vie, toute sa volonté, elle ne pourra pas s’en remettre, elle ne pourra pas surmonter – il est essentiel, vital, indispensable d’y retourner, de lier ce poisson rouge à sa vie, de ne pas le laisser passer.

Des mots en boucle, une mélodie lancinante. Tant et tant qu’elle me réveille. En sueur et en sursaut.

Où ? Je pars ?

Non… Je ne pars pas…

La chaleur d’un désert inconnu. La saveur d’une langue jamais prise en bouche.

Nous sommes dans l’avion. Nous nous regardons, et d’un commun élan, arrangeons nos voiles.
Instant figé, attendu, espéré, depuis si longtemps, si longtemps, depuis toujours…
Nous nous regardons à nouveau, à présent voilées, et frémissons d’impatience, de bonheur surexcité.

Non…

J’ai les cheveux à l’air libre, et le vent normand dans ma nuque.

Khonak an dam ke neshinim dar eyvan, man o to
Be do naghsho be do soorat, be yeki jan, man o to
Khosh o faregh ze khorafat-e-parishan, man o to
Man o to bi man o to jam’ shavim az sar-e-zogh

C’est le bon choix, la bonne décision. Je regarde mes parents, ma mère, et je suis sereine. Émue. Je ne tremble plus.

Mais toujours, en moi cet attrait, cet envoûtement… Fascination, profonde impulsion, brûlant désir jamais éteint de découvrir, un jour, une nuit, ce fou pays…

L’Iran…

 

Le pays où un jour j’arriverai.

 

Le Ballon Blanc de Jafar Panahi