Amalka

« Love & Friendship » de Whit Stillman

Whit Stillman choisit de porter à l’écran l’un des premiers romans de Jane Austen, «Lady Susan», pour en faire un drame comique, léger et savoureux.

C’est vers 1794, alors qu’elle n’a que 18 ou 19 ans, que la jeune Jane Austen écrit «Lady Susan», un roman épistolaire autour d’une figure féminine non conventionnelle, une sorte de nouvelle Marquise de Merteuil, qui séduit et manipule comme elle respire.
L’américain Whit Stilman, («Last Days of Disco», «Barcelona») porte à l’écran ce roman que Jane Austen avait choisi de ne pas publier (et qui ne parut qu’en 1871, un demi-siècle après sa mort), et parvient ce faisant à révéler l’humour de l’auteur, en nous offrant une adaptation truffée de répliques savoureuses, portée par d’excellents acteurs, dans une mise en scène classique, mais juste.
Kate Beckinsale est une piquante Lady Susan, une veuve comme il était rare d’en croiser à l’époque, dans la littérature classique. Déterminée, calculatrice, elle tourne la tête aux hommes, les manipule à sa guise pour tirer le meilleur parti possible de chaque situation, et assurer, à elle et à sa fille Frederica, un confortable avenir.
Avec son amie, l’américaine en exil Mrs Alicia Johnson (Chloë Sevigniy), elle complote, renverse la vapeur et le cours des choses, pour toujours obtenir ses fins auprès des hommes, et rester constamment un objet de désir, malgré la réputation qui partout la précède.
Les boudoirs et les salons sont autant de lieux de messes-basses et de conspirations, et seul le cliquetis de la porcelaine à l’heure du thé ou le froufrou des robes viennent habiller l’espace sonore feutré de ces rencontres.
L’action se déroule le plus souvent à huis clos, dans les différentes pièces de la maison Churchill ou lors de promenades dans les jardins à l’anglaise. On envoie des missives ou murmures par serviteur interposés, pour se mieux se retrouver, seuls, en cachette, derrière des portes fermées.
Ce sont les femmes qui mènent la danse, elles qui décident du sort à réserver aux hommes, et leur analyse tombe, tel un couperet : l’un est « worth having », l’autre, au contraire, « too old to be governable, too young to die ».
Lady Susan connaît ses atouts, sait jouer des apparences. Ce qu’elle commet, elle ne le tolère chez personne d’autre : ainsi, lorsque Sir Reginald de Courcy, le jeune homme qu’elle convoite, ose ouvrir son courrier, et découvre que Lady Susan le trompe, cette dernière qualifie son acte de parfaitement « ungentlemanly », et précise qu’il n’y a que son amie Alicia Johnson et elle-même qui puissent se permettre de lire la correspondance des autres.
Et lorsque le prétendant de Frederica, Sir James Martin, un homme aussi riche qu’il est idiot, démontre que le désir charnel est, chez les hommes, tout à fait naturel et instinctif, mais chez la femme, contre-nature et ridicule, le regard discrètement amusé que lui lance Mrs Johnson vaut toutes les répliques du monde.
Des personnages féminins inattendus, forts, savoureux, à la réplique aussi drôle qu’assassine, qui maîtrisent les codes, en jouent, et se révèlent fins stratèges.
Whit Stillman fait honneur à l’esprit, à la langue et à l’humour de Jane Austen, en nous offrant un film de facture certes classique, mais porté par des acteurs qui prennent un plaisir contagieux à incarner leurs personnages, pour un récit à la fois cynique et humoristique, loin de l’image trop sage que d’aucuns pouvaient garder d’Austen.

 

Love and Friendship


Victoria de Sebastian Schipper

La lumière est bleue nuit, zébrée de flashs qui s’accordent aux basses assourdissantes. Des formes passent devant nous, ombres chinoises d’un instant – des corps qui dansent. La caméra s’attarde sur un visage, celui d’une jeune fille, qui refait hâtivement sa queue de cheval, lance les bras en l’air, et la foule se met à crier de bonheur lorsque retentit un son de caisse clair et que redouble le beat.

Nous sommes à Berlin, la nuit, dans un club.
Notre personnage principal est Victoria, jeune Espagnole fraîchement débarquée à Berlin depuis trois mois, qui n’a pas encore trouvé la bande d’amis nécessaires à son équilibre dans cette ville nouvelle.

C’est pourquoi, lorsqu’elle se fait accoster par un groupe de quatre jeunes Berlinois – Sonne, Boxer, Fuss et Blinker – elle ne presse pas le pas. Au contraire, elle est trop heureuse d’avoir enfin trouvé à qui parler. Ils ne sont pas très beaux, ils ont un petit quelque chose de gentils voyous, mais ils la font rire, et puis ils sont de vrais garçons de la ville – des echte Berliner comme on n’en fait plus, alors pourquoi refuser une bière dans la rue, à la lumière trop jaune des lampadaires ?

Le film, présenté à la Berlinale 2015, y remporta l’Ours d’Argent de la Meilleure contribution artistique, récompensant ainsi Sturla Brandth Grøvlen pour son formidable travail de photographie, avant de rafler les prix allemands les plus prestigieux, à savoir : Meilleur Film, Meilleure Réalisation, Meilleure Actrice, Meilleur Acteur, Meilleure Photographie et Meilleure Musique, entre autres récompenses internationales (Prix Gaudi, Film Policier de Beaune, San Diego Film Festival, …).

On pourrait toutefois reprocher au scénario de Sebastian Schipper de n’en avoir jamais véritablement été un – le réalisateur a en effet réuni sa troupe avec comme simple texte une douzaine de pages, sur lesquelles étaient résumées le déroulé de l’action. Quoiqu’il en soit, et qu’on l’aime ou pas, Victoria est l’un de ces films à part, qui marque de son sceau l’histoire du cinéma. Un seul plan séquence, deux heures quatorze pour un seul clap, un seul « Action ! » et un seul « Cut ! ». Le film est dans la boîte. Plus qu’à aller boire des coups pour la Wrap party.

D’autres films auparavant prétendaient n’avoir été tournés qu’en une fois : l’impressionnant The Russian Arc, qui se déroulait dans un somptueux palais de Saint Pétersbourg, mais se contentait, il faut bien le dire, de suivre les rails d’un lent travelling-avant ; Birdman d’Alejandro Iñarritu, qui jouait sur l’illusion de la prise unique, mais cachait en réalité plusieurs coupes, de même que le faisait The Rope d’Alfred Hitchcock.

Autant de raisons pour faire de Victoria un film singulier, véritablement tourné en une seule fois (après deux tentatives ratées, et alors que l’équipe pensait devoir abandonner le projet et se résoudre à choisir entre l’une des deux premières versions) à travers différents lieux de tournage : depuis une boîte reconstituée dans un sous-sol jusqu’au toit d’un immeuble, d’un parking souterrain dans le quartier de Mitte jusqu’à la cour intérieure d’un bloc d’immeubles de la Kochstrasse.

Cette incroyable performance de la part de l’équipe technique – constituée notamment d’un chef-opérateur, de trois ingénieurs du son, et de six assistants réalisateurs – et des acteurs – Laïa Costa (Victoria) impressionnante de naturel et de vérité et Frederik Lau (Sonne), touchant et juste – nous permet d’oublier que dans certaines scènes (et surtout durant la première heure), l’improvisation de textes se fait encore un peu trop sentir : même si les acteurs sont constamment en personnage, et leurs échanges d’un réalisme troublant, on regrette parfois une certaine banalité dans les dialogues, qui auraient pu, s’ils avaient été écrits, offrir des échanges sans doute plus piquants et plus drôles.

Mais Schipper assume : selon lui, l’intéressant, dans le cinéma, est de faire des erreurs, d’expérimenter, d’aller plus loin. Et son film y parvient. Nous sommes pris par ces personnages, par ce rythme tout d’abord « normal », réaliste, cette nuit dont nous avons l’impression de faire partie, une nuit banale, des jeunes gens banals, une rencontre, des instants comme nous en avons tous vécu, jusqu’à ce que le tout vire à cent-quatre vingt degrés, que l’histoire s’accélère brutalement, nous saisisse à la gorge, et nous permette de vivre avec ces cinq personnages les quelques minutes les plus significatives de leur existence, celles qui marquent à jamais et changent le cours d’une vie.

En construisant ces personnages dans la nuance, en faisant de Victoria une idéaliste, une jeune fille bien sous tout rapport, ancienne pianiste, travailleuse, droite, malgré tout attirée par le danger, par l’aventure, par l’interdit, Schipper construit des personnages très humains, en lesquels nous nous identifions. Par le choix de ce plan séquence, il fait également de sa caméra un personnage à part entière, un narrateur, qui choisit de nous montrer ce qu’il désire, révélant au moment critique ce à quoi nous ne nous attendions pas, que Victoria ignore encore, et qui va la précipiter plus avant dans la chute.

Berlin, la nuit, la buée sur les vitres de la voiture alors qu’on roule vers son destin, le reflet du rouge d’un pull, sombre présage des événements à venir.

Nous n’en dirons pas plus. Ce qui fait la force de Victoria, c’est la surprise de se faire prendre, comme elle, par cette nuit, et par les rebondissements du récit, faire partie de cette aventure berlinoise, de cette folle bande, sillonner avec eux la topographie de cette nouvelle terreur, laisser monter en soi la tension, le suspense, oublier les règles scénaristiques et se laisser happer par l’image, par le son, par le jeu de ces acteurs hors-pairs, pour une expérience audiovisuelle rare, et unique, comme son plan.


« A Man called Ove » de Hannes Holm

Le réalisateur suédois Hannes Holm adapte le bestseller de Frederick Backman, l’histoire d’un suédois râleur au cœur tendre, pour un gentil «feel-good movie»

C’est l’histoire d’un mec qui habite un petit village de Suède, un quartier pavillonnaire qui pourrait rappeler la banlieue des «Desperate Housewives», s’il n’y avait ce ciel gris, ces quelques flocons de neige, ces oiseaux du Vieux Continent sifflant la venue d’un timide printemps, du bois à la place du béton, et un retraité bougonnant, faute de pin-up.

Ove est notre personnage principal, un homme qui habite seul depuis le décès de sa femme six mois auparavant, une belle brune aux yeux azur, au sourire californien, à la grâce et à la bonté sans égales. Un ange.

Depuis sa disparition, Ove a laissé ses tics et manies prendre le dessus de son existence désormais vide. Inlassablement, il arpente les ruelles de son quartier à la recherche de la faute, du délit: il ramasse l’unique mégot abandonné sur le pavé, vérifie le tri dans les poubelles, déterre les jouets oubliés dans le sable du terrain de jeux, effraie les chats, redresse les poteaux à coup de pieds, fait disparaître les vélos improprement garés.

Ove, emmerdeur public qui contredit tout et tout le monde et qui chasse en hurlant les voitures ayant osé s’aventurer dans les allées piétonnes, cache cependant un cœur tendre derrière ces manies tyranniques, ainsi qu’un véritable chagrin dans lequel l’a plongé la disparition de sa femme, au point que son but est désormais de la rejoindre dans la tombe.

Mais comment mettre fin à ses jours lorsqu’on est constamment dérangé par les nouveaux voisins qui viennent d’emménager, un couple suédo-iranien et leurs deux adorables filles, que les humeurs changeantes de notre râleur d’Ove n’impressionnent guère, bien au contraire?

Dans un scénario très classique, Hannes Holm dresse le portrait d’un homme et d’une personnalité, en nous donnant à voir et à comprendre la manière dont s’est forgé son caractère. Il construit son film en nourrissant le présent de flash-backs qui reviennent sur les moments forts de la vie d’Ove, ceux qui ont participé à déterminer la personne qu’il est aujourd’hui.

Si ce qui nous est narré de son passé est très convenu, sans surprise et sans réelle saveur, si le personnage qu’était Ove jeune est relativement insipide (un jeune homme timide, sans conversation, que sa femme angélique et parfaite considère cependant et d’emblée comme l’homme de sa vie), Holm parvient tout de même à nous rendre son Ove du présent attachant, avec ses manières rudes, son attitude rentre-dedans, et l’humour que l’on finit par percevoir en lui.

Son ton, ses manières rêches et revêches nous amusent et participent à faire d’Ove un personnage humain.

Il y a parfois des facilités dans ce qui nous est donné à voir de la psychologie du personnage, mais l’acteur Rolf Lassgård compose un Ove juste et émouvant, et le duo qu’il forme avec Parvaneh (jolie découverte de l’actrice Bahar Pars), sa voisine iranienne qui en a vu d’autres et n’est pas prête à se laisser intimider, offre quelques jolies scènes de comédie.

Un «feel-good movie» dans ce que l’on connaît de plus classique, une réalisation sans heurts et sans surprises, un scénario qui manque de force et d’originalité, une bande originale très (trop) présente et parfois sirupeuse, mais des acteurs qui parviennent à nous toucher, pour un film qui pourra se regarder en famille.

 


De la patience, ou: les joies de la cinquième métatarse

C’était sur Smack my Bitch up… ou sur du hip-hop, je ne sais plus.

Un nouveau petit saut, en rythme, et bam! me voilà par terre, étalée de tout mon long sur le parquet.
Je vois des dizaines de têtes penchées sur moi. J’ai envie de leur dire de ne pas s’arrêter, de continuer à danser, que ce n’est rien, mais une douleur fulgurante me monte à la tête, et je sens mes forces m’abandonner pour céder la place aux brillantes petites étoiles qui si souvent viennent me rendre visite, selon un rituel bien connu, une mise en glamour pailletée de l’évanouissement.

– T’as besoin de quelque chose?
– Jus de pomme!

Jus de pomme – la boisson qui contient le plus de sucre immédiat, et permet d’éviter de tourner de l’œil. C’est ce que m’avait expliqué un type de la Croix Rouge après que je sois tombée de ma chaise, en plein cours d’allemand, inanimée, pantin mou, baleine sur le sol de la classe interdite.

C’est ainsi que je me fracturai d’un coup d’un seul la cinquième métatarse, os auparavant inconnu au bataillon, qui occupe désormais le plus clair de mes pensées funestes.
Un mois d’immobilisation au moins, dans une botte du plus charmant effet robotique.

Equalizer_Air_CAM_Walker

Au bout de ma jambe vit désormais cet étranger, chose à scratch animée d’une vie propre, qui me susurre dans mon sommeil:
« I am your father ».

Huit semaines d’inactivité: adieu salsa, tango, chachacha, merengue… Condamnée à passer la moitié de l’été, de vivre les jours les plus longs de l’année (d’une importance sans égal, pour qui habite dans les régions du Nord de l’Europe et connaît un hiver où la nuit commence à 4h de l’après-midi…) enfermée, à la maison, avec petits sauts graciles en béquilles canapé – toilettes, toilettes-canapé.

Sympa!

Je tenais donc par la présente à remercier mon pays, la France, la Grande Nation, pour sa manière d’aider les blessés légers, mais surtout les invalides, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes ou les parents poussant poussette: j’ai en effet eu le plaisir de recourir à la SNCF au moment où les grèves (devenues un état normal, par chez nous) faisaient comme à leur habitude rage – aussi bien dans le ciel que sur terre – et que débordait la colère des Dieux par chaque rivière, ruisseau et autre fleuve, achevant de bloquer et de rendre impraticable la moindre route.

Nous eûmes donc la joie de devoir changer trois fois d’itinéraire en l’espace de quelques heures, pour couvrir une distance de 141 kilomètres. Lorsqu’enfin arrivés à la gare, je tentai tant bien que mal de me tenir debout sur mes béquilles pour faire la queue, et dans l’espoir de me faire rembourser les billets des trains qui avaient été supprimés au dernier moment, et pour essayer d’obtenir l’information qui me permettrait de dégoter l’unique fauteuil roulant de la gare, j’attendis vingt minutes sans que personne ne vienne me demander si je pouvais avoir besoin de quoi que ce soit, moi dont la patte folle s’empourprait à vue d’œil (l’immobilisation du pied entraîne de réels risques de phlébite, et la posture verticale de plus de quelques minutes est sérieusement déconseillée) et dont l’équilibre précaire menaçait de faire chuter les personnes devant et derrière moi, façon domino.

 

Dominoes falling

Au moment où le jeune homme qui me précédait allait enfin être appelé au guichet, je réalisai que clignotait en rouge sur le panneau lumineux au-dessus de la tête du guichetier, un compte à rebours qui annonçait la fermeture imminente du service, et pour cause… vous l’aurez deviné : notre mouvement de grève préféré !

grève SNCF

Le sang qui s’accumulait dans mon pied me remonta à la tête et, oubliant le remboursement de nos billets, j’invectivai l’employé qui frétillait déjà à l’idée de quitter son poste dans la demi-minute suivante, pour lui demander où trouver un fauteuil roulant.

— « Ah bah faut vous adresser aux services d’accueil, hein. »

Super. Merci mon pote.

Je me rends donc en clopinant vers la vitre « Accueil » à l’autre bout de la gare, et m’assieds d’autorité dans l’unique chaise roulante parquée dans un coin. Je tente de me faire entendre de l’employée derrière la vitre, qui m’aperçoit à peine, raccourcie que je suis sur mon séant: « Excusez-moi! Excusez-moi! Oui, c’est moi, là, oui, qui vous parle. (désignant le fauteuil) J’ai un pied cassé, je peux l’utiliser? » « Ah oui oui. Vous avez un train? » « Non, je suis venue vous préparer un bortsch. Oui, dans dix minutes, sur le quai opposé. » « Ah bah attendez, je vais vous emmener. »

Sur ces paroles aimables, la jeune femme se rassied, et se met à fixer avec intensité un point au loin, au-dessus de ma tête. Sans plus mot dire.

Je regarde mon ami, qui partage mon incrédulité. Que faire? Patienter? Ou lui faire remarquer que c’est maintenant, cocotte, qu’il faudrait y aller?
Énervé par les mésaventures déjà accumulées, mon ami prend les devants, me pousse, et nous nous rendons de nous-mêmes sur le quai. Assez perdu de temps à attendre que la SNCF veuille bien s’occuper de ses passagers.

Une fois arrivés à Lyon, la gare grouille de monde, et l’unique ascenseur de la gare est en panne. La foule, accaparée par le pouvoir magnétique de ses smartphones, ne remarque pas la grande perche désarticulée qui tente tant bien que mal de descendre une à une les marches mouillées sans se faire bousculer, à l’aide de ses béquilles dont déjà l’un des pieds s’esquinte (elles aussi?), dévoilant la partie métallique sous le caoutchouc adhésif en lambeaux – promesses de glissements à l’aéroport à venir.

L’aéroport, oui. Où nous arrivâmes un peu tard (après avoir tenté de trouver comment nous passer du périphérique, dont l’accès restait inexorablement fermé, au profit d’une déviation qui nous fit faire trois fois le tour de la ville), et où l’on nous expliqua que non, nous ne pouvions prendre ainsi les fauteuils roulants disposés dans le hall d’entrée sans personnel accompagnant.

— Mais c’est moi, l’accompagnant, s’écriait mon ami.
— Non, non, désolée, il faudrait que vous retourniez à l’accueil, et que vous demandiez à vous faire escorter.
— Mais notre avion part dans quarante-cinq minutes! on ne peut pas retourner à l’accueil.
— Désolée, c’est ainsi, s’il vous arrivait quelque chose, vous ne seriez pas couverte par l’assurance…
— Mais c’est sans le fauteuil qu’il va m’arriver quelque chose!
— Désolée, c’est comme ça.

« C’est comme ça. »

Il ne nous restait donc plus qu’à recourir à la fameuse technique du taxi péruvien, à savoir grimper, avec la grâce d’une moule apoplexique, sur le dos de mon pauvre compagnon, béquilles à la main, et m’accrocher à lui de toutes mes forces, tandis qu’il sprintait comme un malheureux à travers tout le terminal.

 

piggy back

 

Lui, dégoulinant de sueur, moi, les bras ankylosés par les crampes, nous parvînmes cependant à arriver juste à temps pour l’embarquement, notamment grâce à la trouvaille que nous fîmes, dans les derniers mètres qui nous séparaient de la gate: de petites poussettes mises à la disposition des parents, dans l’une desquelles je parvins tant bien que mal à coincer mes hanches.

Le fauteuil roulant, en France et dans les aéroports, est donc interdit sans surveillance, mais se faire trimballer à toute allure en équilibre sur une fesse, à grand renforts de coup de béquilles et d’injures bosniaques pour se faire céder le passage sans heurter le pied blessé maintenu raide et tendu, pour ne pas qu’il touche le sol, dans une poussette pour enfants, ça, c’est autorisé!

 

open this fucking pit up

Aujourd’hui, je suis de retour chez moi, dans mon appartement plat – merci, Buddha – et avec ascenseur.

De mon balcon où je regarde passer l’été, j’entends les rumeurs de la Fête de la Musique, les beats des open airs qui se préparent, je reçois les messages de mes amis qui se donnent rendez-vous pour aller danser sans moi, les pieds dans le sable, et célébrer ces jours divins où le soleil se couche après 22 heures…
J’entends les oiseaux, la clameur, et regarde mon pied changer de couleur.

 

gif-party-457

Pas avant deux mois, donc.

 

 

 

 


« Tout en haut du monde »

Ce film d’animation français réalisé par Rémi Chayet et produit par Sacrebleu Productions est une bien belle occasion de découvrir le lauréat du Prix du Public du Festival du Film d’Animation d’Annecy.

 

1882.

Sacha, 15 ans, jolie jeune fille à la chevelure blonde, est la seule enfant d’un couple d’aristocrates russes.

Mais c’est de son grand-père le fameux explorateur Oloukine, parti il y a deux ans « tout en haut du monde », à la conquête du Pôle Nord, qu’elle tient véritablement.

Depuis, il n’est jamais reparu, non plus que son navire, le Davaï, un brise-glace pourtant insubmersible, pour lequel le Tsar a promis une récompense d’un million de roubles à qui le retrouvera. Les recherches, hélas, sont restées vaines.

Mais en ce jour de réception à la demeure des Tchernelsov, alors que Sacha doit s’apprêter à ouvrir le bal avec le Prince Tomsky, protégé du Tsar, la jeune fille découvre, en fouillant dans de vieilles affaires, les notes oubliées de son grand-père, qui indiquent une route bien différente de celle que l’on a toujours supposé qu’il avait prise.

Ce serait donc la raison pour laquelle il serait demeuré introuvable ! Sacha n’a alors plus qu’une idée en tête: partir à la rencontre d’Oloukine, le retrouver avant que le terrible hiver qui a pu les épargner jusqu’à présent ne s’abatte sur le Grand Nord.

 

«Tout en haut du monde» est un film d’animation pour enfants, qui saura séduire toutes les générations.

Sur les traces d’Oloukine, nous avançons avec Sacha à travers la Russie puis le Grand Nord, depuis les grandes avenues de Saint Petersbourg jusqu’aux ports de l’Arctique en passant par le quai de petites gares perdues dans la campagne sibérienne.

Notre jeune héroïne est une jeune femme courageuse, intelligente, et sympathique, à laquelle on se lie immédiatement d’empathie. Par l’injustice dont elle est souvent victime, la détermination qu’elle montre pour se tirer d’affaire, la jugeotte dont elle fait preuve et l’attachement qu’elle porte à son admirable grand-père, elle conquiert le cœur des petits et des grands.

Très bien écrit, le film prend garde de parler à tous. Les dialogues sont réalistes, fins et empreints d’humour, et les voix françaises qui viennent donner vie aux personnages, parfaitement choisies (notamment le timbre chaud de Christa qui prête sa voix à Sacha). Les désirs de chacun sont clairement établis et matérialisés, et les conflits riches, divers, et prenants.

Le dessin particulier de Rémi Chayé, qui se fonde sur des aplats de couleur, inscrit le film dans une esthétique singulière, qui nous permet d’entrer plus profondément encore dans cet univers hors du temps, cette aventure qui tient des classiques de la littérature du dix-neuvième siècle.

On notera la manière avec laquelle la lumière est traitée dans le dessin, comme lorsqu’elle tombe du ciel pour venir se poser ça et là sur la mer calme, ou que les rayons obliques du soleil viennent éclairer par endroits le sommet des glaciers entre lesquels nos aventuriers doivent se frayer un passage.

Certaines ellipses narratives permettent au récit de ne jamais perdre de son rythme, mais de toujours rester prenant, passionnant, y compris pour les plus jeunes.

Le fait de suivre une jeune femme d’origine aristocratique dans son apprentissage d’une vie rude de marins explorateurs de l’Arctique constitue un parti pris fort et intéressant, et les auteurs parviennent à éviter clichés ou facilités, mais nous livrent un récit solide, entraînant et porteur de sens.

Seul le choix qui a été fait de travailler avec Jonathan Morali (compositeur du groupe Syd Matters et de plusieurs musiques de films) pour la bande originale, dans une volonté du réalisateur d’aller à l’encontre d’une musique de films aux sonorités trop russe ou trop typées « film d’aventure », pourra gêner certains.

Mis à part ce détail, qui reste subjectif, «Tout en haut du monde» est un bien beau film d’animation, héritier des récits de Jules Vernes ou de Jack London, que l’on prendra plaisir à voir et à revoir.

Tout en haut du monde de Rémi Chayé


«Room» de Lenny Abrahamson

Si Brie Larson s’est vue remettre à raison l’Oscar de la Meilleure Actrice, on regrette qu’il n’existe pas d’Oscar du Meilleur Très Jeune Acteur pour récompenser l’impressionnante performance du jeune Jacob Tremblay, dans ce film d’une qualité rare.

Une respiration, hors champ.
La succession de très gros plans, à travers lesquels on aperçoit les détails de ce qui compose l’intérieur d’une chambre.
Ma est allongée sur le lit. A ses côtés, une petite tête: celle de son fils, dont la longue et soyeuse chevelure n’a vraisemblablement pas été coupée depuis sa naissance, il y a cinq ans.
Car Ma et son fils vivent séquestrés dans ces quelques mètres carrés qui constituent tout ce que le petit Jack connaît de la vie. Pour le protéger, Ma a fait de cette « Room » leur unique réalité, le seul monde qui soit.
Dans ce monde, la télévision est une planète, grâce à laquelle on peut par magie obtenir le nécessaire – de la nourriture, une nouvelle paire de jeans, qui leur seront apportés par Nick, lors de ses visites nocturnes, et pour les « cadeaux du dimanche ».
Dans ce monde, chaque chose a un nom propre, une personnalité qui mérite d’être saluée chaque matin au réveil: « Bonjour Monsieur l’Evier, Bonjour Chaise n°1, Bonjour Lampe, … » Dans la chasse d’eau au couvercle cassé, il y a « La Mer », et il y flotte des bateaux d’aluminium.
Nous vivons l’oppression, l’exiguïté des lieux avec Ma et Jack, ressentons l’absence d’air, le peu de lumière qui filtre à travers l’unique lucarne, l’impossibilité pour la caméra de reculer, et vivons dans notre chair l’arrivée d’Old Nick, le soir, dans cette prison.
Toutefois, et c’est là la virtuosité de la réalisation, de l’écriture et de l’interprétation, le film parvient dès les premières minutes à insuffler un imaginaire, une beauté, et une poésie à son récit: mère et fils sont unis, et mènent dans cette chambre la vie la plus riche possible. Ensemble, ils cuisinent, lisent «Alice aux Pays des Merveilles» ou se racontent «Le Comte de Monte Cristo», inventent des règles et des principes universels.
Mais Jack est grand désormais: il a cinq ans. Et le temps est venu de lui apprendre la vérité, pour tenter le tout pour le tout.
Lui apprendre qu’il existe un autre monde au-delà de la chambre et derrière les murs, lui faire comprendre l’existence des arbres, des feuilles, lui expliquer qu’elles ne sont pas seulement vertes, mais qu’elles se détachent des branches, pourrissent, comme les pommes. Lui apprendre que lorsque son souffle se transforme en buée, ce n’est pas que l’on est devenu dragon, mais seulement que la température a baissé.

«Room» est l’histoire d’une mère et de son fils, de leur amour, et d’un apprentissage au monde. Porté par un scénario, une réalisation, et une interprétation d’une remarquable intelligence, le film parvient à traiter d’un sujet extrêmement difficile, en soulevant des questions cruciales avec délicatesse, dans un grand respect de ses personnages. Nous sommes avec eux, avec Jack surtout, à chaque scène, éprouvons tour à tour mille et une émotions, et sortons de la salle marqués par la poésie et la beauté qui se dégagent du tout, avec l’envie de porter un nouveau regard sur le monde.
Un film rare.

 

Room de Lenny Abrahamson avec Brie Larson et Jacob Tremblay
Room de Lenny Abrahamson avec Brie Larson et Jacob Tremblay


« Berlin im Rausch » – Oscar Coop-Phane et Amélie Vrla

"BERLIN IM RAUSCH" -  Rencontre, lecture et discussion avec Oscar Coop-Phane et Amélie Vrla
« BERLIN IM RAUSCH » –
Rencontre, lecture et discussion avec Oscar Coop-Phane et Amélie Vrla
Chers amis,

Si vous êtes à Berlin à la mi-mars, venez donc me rencontrer ici:
« BERLIN IM RAUSCH »

Rencontre, lecture et discussion avec Oscar Coop-Phane (Demain Berlin) et Amélie Vrla (Elle répondit: « Berlin, baby! ») le 17 mars 2016 à 20h

aux Galeries Lafayette de Berlin

Berlin, l’espace, l’hiver, les rencontres, l’abandon. Une jeunesse assoiffée d’autre chose se retrouve – au pied des altbau et des clubs technos pour oublier, se perdre, s’envoler quelques heures, le corps martelé par les basses techno aussi abrutissantes et stupéfiantes que les drogues avalées.
Berlin où une jeunesse cosmopolite s’essaie à construire de nouveaux ponts vers une vie meilleure et s’égare dans ses nouveaux paradis artificiels qui prennent des tons de plus en plus glauques.
Oscar Coop-Phane et Amélie Vrla, chacun à sa manière, nous proposent une virée dans cette mégalopole spacieuse où rien ne se refuse et tout se consomme jusqu’à l’oubli. Vision ultra-réaliste ou romantique, à nous d’en discuter l
e jeudi 17 mars à partir de 20h aux Galeries Lafayette Berlin.

La rencontre sera présentée et animée par Julia Korbik.

Oscar Coop-Phane est actuellement en résidence à la Villa Médicis. Demain Berlin est le 2me livre d’une trilogie sur les errances urbaines. Zénith- Hôtel et Octobre en sont les deux autres volets.

Amélie Vrla vit à Berlin et Elle répondit « Berlin, Baby ! » est son second livre après un essai remarqué sur Romain Gary, Romain Gary, Emile Ajar: regards croisés.

Julia Korbik vit à Berlin. Journaliste freelance et auteure, elle écrit surtout sur le féminisme, la politique et la pop culture. Stand up – Feminismus für Anfänger und Fortgeschrittene est son premier livre.

Demain Berlin,
La petite vermillon, 163 pages, 9,65€.
Elle répondit „Berlin, Baby!“, Harmattan, 123 pages, 17,40€.
Stand up – Feminismus für Anfänger und Fortgeschrittene, Rogner & Bernhard,
416 pages, 18,99€ dans toutes les bonnes librairies allemandes.

Galeries Lafayette de Berlin –
Friedrichstraße 76, 10117 Berlin


Elle a vu le loup – « Wild » de Nicolette Krebitz

Présenté en compétition internationale à Sundance en janvier 2016, « Wild » de l’actrice et réalisatrice allemande Nicolette Krebitz, traite de l’attirance inexorable d’une jeune femme pour sa part animale, dans une réalisation surprenante, pour l’un des films les plus originaux de l’année. Nous l’avons vu lors du Luxembourg City Film Festival, en compétition internationale. 

On se souvient du personnage de Cousin, dans le roman d’Emile Ajar/Romain Gary: cet employé de bureau modeste, esseulé, perdu dans la grande agglomération de Paris à la recherche du grand (Fleuve) Amour qui, pour combler à un manque terrible d’affection, prenait chez lui un python de deux mètres, Gros-Câlin, qui se nourrissait de souris blanches et enlaçait Cousin des anneaux de son grand corps souple et invertébré, pour lui procurer chaleur et consolation.

Nicolette Krebitz, jeune réalisatrice et actrice allemande, s’est intéressée à une relation similaire. Ania, interprétée par la révélation Lilith Stangenberg, est une jeune femme qui avance dans son existence à Halle, petite ville morne d’Allemagne de l’Est, sans véritablement sembler avoir de but ou d’attache. Ses parents sont absents, elle n’a vraisemblablement jamais connu son père, sa soeur est en couple et bien heureuse de ne pas avoir à se soucier d’elle, et son grand-père, le seul être pour lequel elle semble compter, est hospitalisé.

Dans le bureau sans intérêt où elle travaille, c’est sa faculté de presser les boutons de la machine à café sans poser de questions, ou sa docilité à répondre aux appels de son chef  – comprendre, ce moment où il lance une balle contre la mince paroi qui le sépare d’Ania, qui sont préférées à ses capacités d’ingénieur IT.

Un jour, aux abords d’un petit bois au milieu de l’agglomération, Ania aperçoit un loup. Ils se regardent un temps, avant que la bête ne reparte, pour disparaître parmi les arbres dénudés par l’hiver.

Cette rencontre éveille en Ania un besoin, une fascination, un désir irrépressible et nouveau: celui de renouer avec sa part animale, avec son instinct primaire. 

Une idée qui, sur le papier, peut sembler incongrue, compliquée, factice. Mais qui dans la réalisation de Krebitz et grâce au jeu de Stangenberg, nous plonge dans une fantasmagorie assumée, qui nous convainc, et nous emporte.
Nous qui étions réticents, qui nous méfions déjà de la manière dont le sujet serait développé, nous voilà sous le charme, séduits par le traitement de cette idée, par la façon avec laquelle Krebitz l’explore, l’exploite, avec sensualité, avec humour, souvent, en parvenant à nous surprendre, et à aller au bout de cette réflexion poétique et fantasmatique.

Il y a cette scène incroyablement visuelle, une définition cinématographique de la volupté féminine, lorsque Ania enroule son corps de liane, svelte et souple, sur la rampe de l’escalier de son immeuble, et se laisse glisser, panthère dont le désir et le plaisir émanent de chaque pore de sa peau, contre le colimaçon de métal. 

 

Il y a cette séquence de traque selon le rite lapon, où elle avance, armée d’une torche brûlant dans la nuit noire, dans ce bois qu’elle a délimité à l’aide d’un cordon de lambeaux de tissus colorés, comme ces amulettes que l’on accroche aux arbres en Inde ou en Asie, pour célébrer la nature, les dieux, ou s’en remettre au destin pour qu’il exauce nos voeux.

Wild est une fable, une fantasmagorie porteuse de multiples significations, dans laquelle il ne faut pas chercher à trouver un sens précis ou une symbolique figée, mais par laquelle on se laisse emporter tout d’abord avec surprise, jusqu’à tomber sous le charme de l’univers de la réalisatrice, et de ce personnage étrange, entre introvertie dérangée et femme libre, autisme et sensualité.

Il faut louer le choix de Lilith Stangenberg dans le rôle d’Ania, qui incarne parfaitement et tour à tour cette fille de Halle au parler enfantin, cette IT négligée qui arpente le supermarché local vêtue seulement du pardessus élimé de son grand-père, cette fille solitaire au regard trop profond, pour devenir à la seconde d’après un être lumineux, à la chevelure d’or, à l’expression féline, au désir animal.

Le film charme et trouble à la fois, et laisse, à ceux qui auront pénétré cet univers particulier, une impression marquante, qui continue de grandir et de se révéler à nous dans toute sa force, longtemps après avoir quitté la salle obscure.

Une découverte. 

 

Wild de Nicolette Krebitz avec Lilith-Stangenberg_c_Heimatfilm
Wild de Nicolette Krebitz avec Lilith-Stangenberg_c_Heimatfilm


« Le droit au bonheur » : Berlinale 2016

Lors de la conférence de presse qui annonçait le programme de la 66ème édition de la Berlinale, son directeur, Dieter Kosslick avait souligné l’importance de la devise du festival cette année : « Das Recht auf Glück », ou le « droit au bonheur et à la chance. » L’occasion pour nous de revenir sur les films en compétition qui illustrent cette devise et cette thématique.

Dans Hedi de Mohamed Ben Attia, premier film arabe en compétition depuis 20 ans, un jeune homme apprend à échapper au carcan familial et au poids des conventions, pour parvenir à vivre libre, en accord avec celui qu’il est véritablement.
On pourra regretter un certain manque d’originalité dans la réalisation de ce premier long-métrage, pourtant accompagné depuis l’écriture par les frères Dardennes, qui en ont assuré la production exécutive. Mais le talent des acteurs, et certaines scènes poignantes permettent au film de trouver sa voix, et de nous faire découvrir la pétillante Rym Ben Messaoud, incarnation de la liberté.

De son côté, André Téchiné choisit dans Quand on a 17 ans de traiter du droit à être heureux lorsque l’on découvre son homosexualité, à travers le personnage de Damien, incarné par l’excellent Kacey Mottet Klein;, European Shooting Star 2016. Fils d’un militaire et d’une docteur de province (la rayonnante Sandrine Kiberlain), Damien vit relativement isolé dans le milieu rural d’un petit village des Pyrénées, lorsqu’il ressent ses premiers émois amoureux et sexuels face à son ennemi de classe, Tom (Corentin Fila). Ce dernier, perturbé par la maladie de sa mère adoptive, a du mal à trouver sa place ailleurs que dans la nature sauvage et les majestueuses montagnes contre lesquelles se découpe sa silhouette longiligne d’homme en devenir.
Sans jamais tomber dans le pathos, dans une réalisation et une écriture très réalistes, Téchiné explore de manière simple et touchante cette quête du bonheur et de l’affirmation de soi, dans un souci de légèreté, de lumière, et de vérité.

La jeune Mia Hanse-Løve continue de nous surprendre par la finesse de son propos et de son analyse cinématographique, en nous livrant son film le plus autobiographique, qui dépeint le portrait, rare au cinéma, d’une femme intellectuelle, Nathalie, professeur de philosophie interprétée par Isabelle Huppert, toujours aussi admirable. C’est L’Avenir, celui qui fait peur, qui pourrait « semble[r] compromis », comme le lui laisse entendre certains. Face à une série d’épreuves, cette femme en milieu de vie doit apprendre à ré-apprivoiser la nouvelle liberté qu’elle se voit offerte, et à trouver son équilibre, seule, ainsi qu’une nouvelle forme de bonheur.
Un scénario juste et profond, dans lequel il n’est pas fait étalage des émotions mais où l’on retient le drame, pour mieux explorer la fragilité, l’équilibre, et révéler la beauté de la vie, même lorsqu’elle se montre cruelle.

L’excellente Trine Dyrholm offre également un personnage de femme dont la fragilité finit par dévoiler la force dans Kollektivet – The Commune du danois Thomas Vinterberg, et l’on se demande qui d’elle ou d’Huppert remportera l’Ours d’Argent de la Meilleure Actrice. Revenant lui aussi vers ses origines et son enfance, Vinterberg choisit de dépeindre la collectivité où il a grandi dans le Copenhague des années 70, et d’explorer un triangle amoureux entre Anna, une présentatrice de télévision déjà mûre, son mari Erik, architecte ambitieux et relativement conservateur (Ulrich Thomsen, le Christian de Festen) et une jeunesse blonde dévouée à son nouvel amour (Helene Reingard Neuman).
Mûe par sa fille qui ne supporte plus de la voir si malheureuse, Anna devra faire face à la difficulté de voir son rêve s’effondrer, et de payer les conséquences de ses propres désirs, pour retrouver le goût de l’existence.

Enfin, 24 Wochen de Anne Zohra Berrached, seul film allemand en compétition, aborde la thématique du bonheur de manière particulièrement poignante, en confrontant un couple à la décision d’avorter ou non à un stade avancé de grossesse. Malgré que le film divise la critique, Julia Jentsch est terriblement émouvante dans l’interprétation de cette mère devant décider de vie ou de mort pour son enfant, et l’on ne comptait plus le nombre de spectateurs en larmes au sortir de la projection.

Des personnages d’une grande force et d’une belle complexité, dans des films profonds, touchants, porteurs de sens et de vérité, qui s’attachent à questionner cette thématique universelle qu’est l’aspiration de l’homme au bonheur et à la liberté.


María Valverde: une étoile confirmée

Cet entretien a été réalisé dans le cadre des European Shooting Stars de la Berlinale 2016, pour CafeBabel.

La madrilène María Valverde n’a pas encore trente ans, mais déjà plus de trente rôles à son actif, au cinéma, dans des courts et long-métrages ou dans des séries télévisées, chez elle, en Espagne et à l’international.  

A seize ans, en 2003, María Valverde obtient le Goya de la meilleure actrice débutante pour son rôle dans le film Sortie de route (La Flaqueza del bolchevique). En 2009, elle interprète Flamma dans Cracks aux côté d’Eva Green, ou récemment Séphorah dans la superproduction américaine Exodus : Gods and Kings de Ridley Scott avec Christian Bale. Début 2016, Ali and Nino d’Asif Kapadia (le réalisateur du documentaire Amy), une histoire d’amour entre un jeune noble et une princesse géorgienne tournée en majorité en Azerbaïdjan et en Turquie, a été présenté à Sundance.

CaféBabel: Peux-tu nous parler un peu de ton expérience en tant que shooting star jusqu’à présent ?

María Valverde : C’est très agréable, je suis vraiment très heureuse d’avoir pu venir ici pour rencontrer les autres actrices et acteurs des Shooting Stars, parce que je suis fan de certains ! (Rire) C’est vraiment intéressant de passer ce moment avec eux, de pouvoir partager nos expériences.

CaféBabel: Je sais que tu as une admiration particulière pour Meryl Streep. Est-ce que tu as déjà pu la voir ou lui parler ?

María Valverde : Non, pas encore ! Mais je l’admire tellement que si je la rencontre, je ne sais pas si j’arriverai à lui parler ! Je resterai probablement là, à la regarder, sans rien oser dire !

CaféBabel: Peut-être vas-tu la rencontrer ce soir, à la projection d’Alone in Berlin

María Valverde : Peut-être, je ne sais pas. Rien que d’y penser, cela me rend nerveuse ! (Rire) Je l’aime vraiment beaucoup.

CaféBabel: Est-ce important pour toi, de la voir présider le jury international du festival ?

María Valverde : Oui. Il me semble que l’on voit de plus en plus de femmes dans des positions de leader, et je suis très heureuse que cela arrive de plus en plus souvent. Et surtout avec une femme comme elle, qui est une icône. Je crois que c’est parfait pour le festival de l’avoir comme présidente.

CaféBabel: Est-ce une cause qui t’importe, le rôle des femmes dans le cinéma ?

María Valverde : Oui. (Elle réfléchit). J’espère pouvoir devenir une femme qui en inspire d’autres… Je suis vraiment heureuse de voir des femmes comme Jennifer Lawrence, Emma Thompson ou Meryl Streep, se battre pour nos droits et inspirer tant d’autres personnes. Oui, c’est un but dans la vie de devenir une telle femme.

CaféBabel: Est-ce quelque chose qui compte aussi dans le choix de tes rôles ?

María Valverde : Je ne sais pas… Mais oui, j’aimerais qu’il y ait davantage de rôles de femmes plus intéressants, de rôles de femmes fortes, puissantes. Parce qu’il arrive souvent qu’on lise des scénarios dans lesquels les rôles les plus intéressants sont masculins. Et c’est parfois injuste. Mais je crois qu’aujourd’hui, les choses changent… Doucement, mais elle changent, notamment grâce à ces femmes, et nous devons leur en être très reconnaissantes.

CaféBabel: Peux-tu me parler de ta carrière passée, de ce qui te rend fière dans les défis déjà relevés ?

María Valverde : Je suis fière de toute ma carrière. Cela fait déjà 13 ans que je suis actrice, et dès que je peux choisir un rôle, je choisis le plus difficile, celui dans lequel je vais devoir prendre des risques. C’est ce qui fait sens pour moi. Ne pas choisir la facilité. Aller dans des pays étrangers, lointains, jouer au milieu de la jungle… ce qui est le plus dur pour moi est ce dont je suis le plus fière, cela participe à me changer, à me faire évoluer en tant que personne. Je ne sais pas combien de temps elle va durer, cette carrière, mais j’ai vraiment envie d’en profiter le plus possible.

CaféBabel: Il n’y a pas de raison qu’elle s’arrête ! (Sourire) Quels sont tes défis ou projets futurs?

María Valverde : J’ai un projet avec Mélanie Laurent, en France. Je vais devoir apprendre le français! J’espère que je vais y arriver ! Et j’ai trois films qui vont sortir bientôt. Enfin, voilà ce que j’ai envie de faire : continuer à travailler à travers le monde, voyager, apprendre…

CaféBabel: Et y a-t-il des réalisateurs avec lesquels tu aimerais travailler en particulier?

María Valverde : Oh oui ! J’adorerais travailler avec Iñárritu ! (Rires).