Parmi les films visionnés jusqu’à présent au sein de la compétition officielle, l’un sort déjà du lot, et par son genre, et par la thématique qu’il choisit d’aborder : dans son documentaire Fuocoammare, Gianfranco Rosi traite de la question des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée.
Un jeune garçon s’affaire avec un couteau de cuisine à couper un morceau d’une branche de pin, le plus résistant des arbres pour se fabriquer un lance-pierre. Autour de lui, la côte sauvage, les cactus, les roches de granit, et le proche rugissement des vagues. Lampedusa. La Méditerranée.
Au loin, dans l’obscurité bleue de la nuit sur laquelle se lève un nouveau jour, des antennes radar tournent sur elles-mêmes et captent une voix désespérée, perdue: « We are 250 people. In the name of God. Please, help us. »
Croiser des destins et des instants de vie, les placer en parallèle, pour en tirer un sens nouveau, profond, une nouvelle symbolique, une nouvelle dimension.
C’est ce que fait admirablement le réalisateur Gianfranco Rosi dans son documentaire Fuocoammare, dans lequel il nous donne à voir et à suivre plusieurs destinées.
Il y a le jeune Samuele Pucillo tout d’abord, fils de pêcheur, qui connaît son île par coeur, y chasse les oiseaux la nuit, et joue sans cesse à la guerre : contre le ciel, avec une arme imaginaire, ou contre les cactus, sur lesquels il sculpte au préalable et avec application, des visages humains, pour plus de réalisme.
Il y a l’animateur de radio locale, qui annonce les nouvelles quotidiennes, dresse le bilan des naufrages, et reçoit les requêtes des femmes restées au foyer qui désirent, par leur programmation musicale, réchauffer le coeur de leurs pêcheurs, qu’ils soient partis en mer ou non.
« Fuocoammare », qui donne son titre au film, est l’une de ces chansons, qui désigne ce moment où, les jours d’orage, la mer prend la couleur du sang, comme si elle était devenue de feu, et que les hommes sont alors condamnés à rester au port.
Il y a le médecin, Pietro Bartolo, rencontré par le réalisateur lors de son arrivée sur l’île, alors qu’il souffrait d’une mauvaise bronchite, qui partage avec nous ses souvenirs, son expérience. Sur son ordinateur, des photos, emmagasinées depuis 1991, année où les migrants ont commencé à arriver.
D’un côté les habitants de l’île, et de l’autre, les demandeurs d’asile. Des hommes et femmes entassés sur des navigations de fortune, en plein soleil du sud, aux large des côtes ; des corps déshydratés, à l’article de la mort, gisant aux pieds des secouristes en masques et combinaisons blanches ; des femmes que l’on vient de sauver de la noyade, pour leur apprendre la mort des leurs.
Plus tard, dans l’un des camps de réfugiés, on improvisera un match de foot, entre nations décimées par la guerre. Plus tard, Samuele, qui doit remédier à son amblyiopie, trouvera refuge auprès d’un grand arbre, pour venir essayer pour la première fois et loin des regards, ce nouveau cache-oeil qui le fait ressembler à un pirate.
Plus tard, la famille réunie se régalera d’un plat de spaghetti ai fruti di mare, concocté par la grand-mère. Plus tard, les Nigerians entameront un chant, pour clamer leur histoire, tandis que l’or des couvertures de survie brillera dans la nuit.
Dans une réalisation très sobre, avec de longs plans fixes, un montage intelligent qui fait alterner respirations et scènes poignantes, humour, légèreté, et terrible réalité, Rosi traite de ce sujet nécessaire et délicat avec profondeur et justesse. Dans chaque scène, différentes strates de sens et d’interprétation, de symboles et de signification.
Le film, qui fut longuement applaudi par la critique lors de la séance presse, illustre parfaitement la devise de l’édition 2016 du festival, comme annoncée par son directeur Dieter Kosslick : « Le droit au bonheur et à la chance ».
Fuocoammare, notre premier coup de coeur de cette Berlinale 2016, devrait aisément trouver sa place dans le palmarès à venir, et permettre, comme le souhaite son réalisateur et ses protagonistes, de sensibiliser ceux pour lesquels il serait possible de faire davantage qu’un film, afin de remédier à la tragédie qui se déroule sous nos yeux.