Après l’indigeste “ Les Misérables”, Tom Hooper revient à Hollywood et dans la course aux Oscars avec “The Danish Girl”, adaptation à l’écran du combat véritable du premier transgenre de l’Histoire, l’artiste danois Einar Wegener.
Einar Wegener est un peintre danois qui vit à Copenhague avec son épouse, Gerda Gottlieb, artiste également.
Un jour, en retard dans ses commandes, Gerda demande à son mari d’enfiler une robe, des collants, et une paire de ballerines, et de prendre la pose, pour lui permettre de terminer une toile.
C’est la révélation: la douceur de l’étoffe, la manière qu’elle a de reposer sur la peau, de laisser paraître la blancheur crémeuse des bas et la finesse de la cheville… Einar comprend ce qui l’habite depuis toujours – il n’est pas homme, mais femme. Non plus Einar, mais Lili, Lili Elbe, cette mystérieuse créature qui va servir de modèle à Gerda, et l’inspirer pour quantité de portraits à venir.
De cette histoire véritable et hors du commun, David Ebershoff, auteur américain, tire un livre en 2001, intitulé “The Danish Girl”, que le britannique Tom Hoopper (“Le Discours d’un roi”) choisit d’adapter à l’écran, en confiant l’interprétation d’Einar-Lily à Eddie Redmayne (Stephen Hawking dans “The Theory of Everything”) et celle de Gerda à la star suédoise Alicia Vikander (“Ex Machina”, “Codename U.N.C.L.E.”).
Que se passe-t-il, au sein d’un couple, lorsqu’une telle révélation se produit? A quoi tient l’amour et quel est le ciment de l’union?
Ce que Gerda décide au départ de prendre comme un jeu – elle aide Lily à se travestir, vante la perfection de son trait d’eye-liner et va même jusqu’à l’accompagner dans les réceptions de la capitale en la présentant comme la cousine d’Einar – devient progressivement sa tragédie intime.
Doit-elle accepter, comprendre, se montrer altruiste et généreuse, et soutenir Lily coûte que coûte dans sa quête et dans son besoin? Mais qu’en est-il d’elle-même, Gerda, et quelle est sa place, face à cette autre femme qui habite la maison?
Un soir, en larmes, faible, épuisée, Gerda demande à Lily d’aller lui chercher son mari: elle a besoin de lui, elle veut le voir, a besoin de lui parler.
Mais Lily ne le peut pas. Le jeu n’en est plus un, une limite a été franchie. Einar est mort.
En choisissant de traiter du parcours de celle qui fut la première personne à subir une chirurgie de réattribution sexuelle, Tom Hooper se frotte à une thématique passionnante, mais très complexe, profonde, et tout sauf conventionnelle.
Or, la manière qu’il a d’évoquer cette tempête au sein du couple et dans la vie d’Einar-Lily ne touche pas vraiment au cœur, mais décrit des circonvolutions: on distrait en filmant les étoffes, en effleurant le drame sans vraiment le révéler dans toute sa violence. Hooper ne traite ni du scandale que la décision de Lily va provoquer dans cette société du début du siècle, ni de toute la cruauté des émotions éprouvées par Lily face à son épiphanie et aux terribles conséquences qu’elle entraîne, non plus que du bouleversement de la vie de Gerda, dans son amour et dans son rôle d’épouse et de femme.
Tom Hooper préfère se consacrer à travailler des plans d’une grande beauté, des mouvements de caméra fluides, et à révéler la magnificence des traits de ses acteurs: Alicia Vikander, lumineuse, ravissante, parfaitement juste, parvient à nous émouvoir malgré la fadeur des choix du réalisateur. Eddie Redmayne impressionne par l’androgynie de son visage et par son jeu, mais Hooper, qui semble avoir trouvé dans l’un de ses sourires – à la fois éclatant et réservé, solaire et timide – l’expression même de la Lily des portraits de Gerda, choisit de le faire minauder jusqu’à épuisement, jusqu’à nous agacer, et finir par nous éloigner du personnage de Lily.
La jolie mise en scène du réalisateur et ses parti pris tièdes auront donc permis à “The Danish Girl” de bien se placer dans la course aux Oscars (nominations pour le meilleur premier rôle masculin et le meilleur second rôle féminin, entre autres), et de confirmer l’académisme convenu de Hooper. Dommage!