Un ordinateur.
Sur lequel on tape. Sur lequel on écrit. Par lequel on envoie. A l’ailleurs. Au monde. A l’extérieur. A l’étranger.
Un ordinateur.
Sur lequel on regarde des films, par lequel on écoute la radio, où l’on reçoit des messages, des photos.
Un ordinateur.
Grâce auquel on peut téléphoner, tenir conférence, télé-travailler.
– Vous avez besoin d’un vaccin contre la grippe ? Vous êtes en contact avec beaucoup de gens, professionnellement ?
Beaucoup, oui.
Beaucoup. Virtuellement.
De ma tour d’ivoire kreuzbergoise, j’écris, je parle, je discute, je débats. Un scénario, un article, un cours, un roman, feedback, co-écriture, grammaire, tout ça tout ça.
Seule.
Seule devant mon ordinateur.
Seule.
Vie avec un écran.
Aller s’asseoir dans les cafés, au milieu de la foule, lire des scénars au bar, sur le comptoir, et emmerder le peuple lorsqu’il y repose son mojito, son club mate, bah oui ma belle, désolée, y en a qui bossent, alors pousse ton verre que j’m’y mette.
Seule.
Seule face à l’écran.
Seule.
Tenir des discussions entières, disputer, brainstormer, défendre, inventer, raconter, avec d’autres, oui, beaucoup d’autres, pixelisés.
Seule. Seule face à l’écran.
Seule avec ce clavier.
Et je l’aime, et j’aime ce métier. Et jamais n’ai été aussi comblée.
Mais le soir, mais quand la nuit tombe, plus, non, plus possible. Relever la tête et se rendre compte que seule, une fois de plus, un jour encore, seule, seule au travail.
– C’était bien ta journée?
– Oui, j’ai trouvé une solution au conflit de Tim avec son père! Pour l’histoire avec le basket, tu sais?
– Ah, génial!
– Et toi?
– Oh, nous on avait un évènement avec seulement 800 personnes, c’était tranquille aujourd’hui.
Seule.
Face aux pages noircies.
Seule.
Vie avec un robot. Avec une machine. Qui enregistre, archive, retient, saute à la ligne, commande des bouquins.
Seule.
Internet marche plus? Scandale! Horreur, malheur, écroulement de tous les plafonds. Je fais comment pour travailler, moi, maintenant? Avec qui, avec quoi? Comment? COMMENT?
Seule. Connectée. Seule.
A qui raconter la dernière blague, la dernière idiotie ?
Avec qui partager son émoi, autrement que par téléphone ou écrit ?
A qui livrer son inquiétude, son doute, de qui recevoir le conseil, l’avis, sur le travail fini ?
Seule.
Télé-travail.
Seule.
Écrire.
Seule.
Et n’est-ce pas ce que toujours je voulais ?
Seule à Berlin, manger du riz à la moutarde.
Travailler. Seule.
– Prends un petit boulot.
– Bah oui, mais il faudra que je renonce à une part de ce que je fais. Et j’aime ce que je fais. Je ne veux pas y renoncer…
– Bah oui, mais…
– Oui… Je sais… Alors que faire?
Le soir, ne plus tenir en place. Entrer dans le Feierabend comme on crierait « Hourra!! », pour enfin, enfin, pouvoir commencer, commencer à parler, à quelqu’un d’entier, plus seulement la tête, mais les pieds; plus d’hommes troncs, non, des bipèdes ! qui se lèvent, et marchent, et t’interrompent pour prendre leur commande au bar à grandes enjambées.
Le soir se jeter sur son aimé, et ne plus le lâcher, ne plus lui accorder une minute de répit.
Mais il a besoin d’un moment pour atterrir!
Oui, mais non. Non. Ah peut pas. Ah comprend pas. Ah marche pu comme ça.
La fausse Jessica Rabbit se jetant, telle la furie sur « UN HOOOOOOOMMMMMMMME!! »
Mensch, eh!, comme dirait Christiane. F. Pas la locataire du second.
L’arbre vit ! L’homme marche ! Alléluia aux plus hauts des cieux.
Télé-travail. Solitude. Amour des mots. Incertitude.
Je ne sais pas, je ne sais plus, je ne sais pas si j’ai jamais su…