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“La fille inconnue”, de Jean-Pierre et Luc Dardennne

Sélectionné en Compétition Officielle à Cannes, le film pèche par un excès de réalisme, sans toutefois se départir complètement de ce qui a fait la grandeur du cinéma des Frères.

Après Deux jours, une nuit, qui avait séduit le public et la Croisette en 2014, les frères Dardenne choisissent de retravailler avec une actrice française dans le rôle principal: Adèle Haenel (qui, comme Marion Cotillard, peine à prendre un accent belge constant) incarne le docteur Davin, jeune médecin généraliste passionnée par son métier.

Un soir, plus d’une heure après la fermeture, alors que Davin fait la leçon à son stagiaire en lui reprochant d’être l’otage de ses émotions, on sonne à son cabinet: elle refuse d’ouvrir, rétorquant à son stagiaire scandalisé qu’ils ne peuvent pas prendre le risque de travailler sous l’emprise de la fatigue.

Mais le lendemain, la police se présente: une femme a été retrouvée morte, sur le chantier en face, et les images vidéo enregistrées par la caméra de surveillance du cabinet montrent que c’était elle qui avait sonné la veille, alors qu’elle tentait visiblement d’échapper à quelqu’un.

Rongée par le remords, incapable de vivre avec l’idée qu’elle aurait sauvé cette femme en lui ouvrant la porte, Davin se met à enquêter auprès de ses patients, afin de retrouver l’identité de la fille inconnue, pour prévenir ses proches et lui offrir une sépulture à son nom.

Dans Deux jours, une nuit, Marion Cotillard allait sonner aux portes de chacun de ses collègues, pour tenter de les convaincre de renoncer à leur prime pour lui permettre de garder sa place à l’usine. Dans «La fille inconnue», c’est un parcours similaire que suit le docteur Davin, en se rendant chez ses différents patients pour leur montrer, entre deux prescriptions, la capture d’écran de la mystérieuse inconnue.

Multiplications de semblables séquences: Adèle Haenel sonnant à l’interphone; Adèle Haenel dans sa voiture sillonnant la banlieue de Liège; Adèle Haenel lors de longs silences au téléphone. A force de vouloir plonger leurs spectateurs dans un réalisme accru, on pourrait se demander si les frères Dardenne n’ont pas perdu ce qui faisait la magie de leur cinéma. Car à trop vouloir faire d’un film une reproduction exacte de la vie, on finit par perdre ce qui fascine dans le septième art, et par reproduire le quotidien dans ce qu’il peut avoir de légèrement caricatural.

Adèle Haenel est juste, dans son jeu minimaliste, mais cette direction d’acteurs ne sied pas à tout le monde, et la scène finale sonne particulièrement faux.

On aurait également pu débarrasser le film de certaines longueurs qui se ressentent surtout dans son dernier quart, et dans les répétitions d’action et de décors.

Toutefois, il continue de se dégager du cinéma des frères Dardenne quelque chose d’atypique et de particulier, qui parvient à nous happer – un ton, une tenue, une tension dans chaque scène, qui attisent notre désir d’en apprendre plus, et de suivre ces personnages qui nous touchent malgré tout: ce paradoxal Docteur Davin, qui sermonne son stagiaire quant à son émotivité, mais se laisse elle-même complètement submerger par son remords; qui dort dans son cabinet et ne semble vivre que pour ses patients, mais n’hésite cependant pas à user de son pouvoir de médecin pour les manipuler, lorsqu’elle pense pouvoir leur soutirer des informations, en profitant de la défaillance du cœur de l’un, du dos bloqué de l’autre, de l’indigestion chronique d’un troisième, pour parvenir à ses fins et découvrir la vérité.

Les thématiques de l’empathie, de l’émotion et du remords hantent le film, ainsi que les rapports hommes-femmes, et l’on peut se demander si le Docteur Davin n’a pas choisi d’étudier la médecine pour les mêmes raisons que son stagiaire, elle que la violence semble terroriser.

Si la magie n’opère pas parfaitement, et que l’on est davantage dans l’analyse critique que dans l’émotion au sortir de la salle, il demeure toutefois dans ce cinéma une maîtrise qui a fait la réputation des frères Dardenne.

 

"La fille inconnue" avec Adèle Haenel

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Auteur·e

etageres