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"Love & Friendship" de Whit Stillman

Whit Stillman choisit de porter à l’écran l’un des premiers romans de Jane Austen, «Lady Susan», pour en faire un drame comique, léger et savoureux.

C’est vers 1794, alors qu’elle n’a que 18 ou 19 ans, que la jeune Jane Austen écrit «Lady Susan», un roman épistolaire autour d’une figure féminine non conventionnelle, une sorte de nouvelle Marquise de Merteuil, qui séduit et manipule comme elle respire.
L’américain Whit Stilman, («Last Days of Disco», «Barcelona») porte à l’écran ce roman que Jane Austen avait choisi de ne pas publier (et qui ne parut qu’en 1871, un demi-siècle après sa mort), et parvient ce faisant à révéler l’humour de l’auteur, en nous offrant une adaptation truffée de répliques savoureuses, portée par d’excellents acteurs, dans une mise en scène classique, mais juste.
Kate Beckinsale est une piquante Lady Susan, une veuve comme il était rare d’en croiser à l’époque, dans la littérature classique. Déterminée, calculatrice, elle tourne la tête aux hommes, les manipule à sa guise pour tirer le meilleur parti possible de chaque situation, et assurer, à elle et à sa fille Frederica, un confortable avenir.
Avec son amie, l’américaine en exil Mrs Alicia Johnson (Chloë Sevigniy), elle complote, renverse la vapeur et le cours des choses, pour toujours obtenir ses fins auprès des hommes, et rester constamment un objet de désir, malgré la réputation qui partout la précède.
Les boudoirs et les salons sont autant de lieux de messes-basses et de conspirations, et seul le cliquetis de la porcelaine à l’heure du thé ou le froufrou des robes viennent habiller l’espace sonore feutré de ces rencontres.
L’action se déroule le plus souvent à huis clos, dans les différentes pièces de la maison Churchill ou lors de promenades dans les jardins à l’anglaise. On envoie des missives ou murmures par serviteur interposés, pour se mieux se retrouver, seuls, en cachette, derrière des portes fermées.
Ce sont les femmes qui mènent la danse, elles qui décident du sort à réserver aux hommes, et leur analyse tombe, tel un couperet : l’un est « worth having », l’autre, au contraire, « too old to be governable, too young to die ».
Lady Susan connaît ses atouts, sait jouer des apparences. Ce qu’elle commet, elle ne le tolère chez personne d’autre : ainsi, lorsque Sir Reginald de Courcy, le jeune homme qu’elle convoite, ose ouvrir son courrier, et découvre que Lady Susan le trompe, cette dernière qualifie son acte de parfaitement « ungentlemanly », et précise qu’il n’y a que son amie Alicia Johnson et elle-même qui puissent se permettre de lire la correspondance des autres.
Et lorsque le prétendant de Frederica, Sir James Martin, un homme aussi riche qu’il est idiot, démontre que le désir charnel est, chez les hommes, tout à fait naturel et instinctif, mais chez la femme, contre-nature et ridicule, le regard discrètement amusé que lui lance Mrs Johnson vaut toutes les répliques du monde.
Des personnages féminins inattendus, forts, savoureux, à la réplique aussi drôle qu’assassine, qui maîtrisent les codes, en jouent, et se révèlent fins stratèges.
Whit Stillman fait honneur à l’esprit, à la langue et à l’humour de Jane Austen, en nous offrant un film de facture certes classique, mais porté par des acteurs qui prennent un plaisir contagieux à incarner leurs personnages, pour un récit à la fois cynique et humoristique, loin de l’image trop sage que d’aucuns pouvaient garder d’Austen.

 

Love and Friendship

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etageres