Crédit:

« Much Loved », un film de Nabil Ayouch

Faisant fi des risques, Nabil Ayouch, accompagné par son sémillant quatuor de comédiennes, livre un portrait cru et véridique de l’une des réalités taboues de son pays en retraçant le quotidien de quatre prostituées à Marrakech.

 

Dès les premières minutes de son film, Nabil Ayouch nous précipite dans le vif du sujet : trois filles se préparent à se rendre dans l’une des luxueuses villas que compte Marrakech, pour offrir leurs peaux, leurs corps et leurs services à de riches Saoudiens venus se payer du bon temps.

Menées par Noha (Loubna Abidar, dont il n’est plus nécessaire de dire qu’elle est une révélation), le petit trio siffle de la vodka, sniffe un rail de coke, roule un joint ou se vernit les ongles tout en devisant gaiement : « Tu sais faire le 8 avec ton cul, pétasse ? »

Saïd, l’homme à tout faire, leur apporte le tajine, sert de chauffeur et leur distribue les préservatifs nécessaires au bon fonctionnement de la soirée. Ce sera le seul homme à se montrer doux, patient, compréhensif, à veiller sur ces filles dans l’ombre, discrètement, comme si elles étaient véritablement « sa famille ».

Présenté durant la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, le film se vit immédiatement interdire de diffusion au Maroc pour cause d’« outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et [d’] atteinte flagrante à l’image du royaume », tandis que son réalisateur et ses actrices recevaient des menaces de mort.

Car Much Loved n’hésite pas à dresser un portrait du Maroc comme on en voit rarement, dans une vérité dénudée, sans artifice ou mélodrame, à travers ces quatre personnages de femmes sûres d’elles, qui ont décidé de prendre leur vie en main pour répondre à leurs besoins et ceux de leur entourage.

Homosexualité, prostitution enfantine, débauche d’alcool et de drogue – Ayouch aborde tous les tabous l’un après l’autre, sans emphase et sans complaisance.

Les hommes sont Européens, des Français rencontrés en boîte, mais également des Saoudiens qui portent le keffieh, retenu par l’aghal qu’ils font tournoyer en dansant au-dessus de leur tête, comme des cowboys leurs lassos.

Entre deux verres de whisky, ils s’éloignent pour aller prier. Contradictions et paradoxes de ces hommes qui fuient la prison de la charia, pour appliquer comme ils l’entendent les principes du Coran.

Certaines scènes se ressemblent et se répètent, ralentissant quelque peu le rythme mais permettant aussi au spectateur de ressentir ce qu’a de lourd et de lassant le quotidien de ces femmes – la danse, les ondulations de hanches, de fesses, de chevelure et le jeu de regards, de voix. Mais toujours, on retrouve cette vivacité, cet esprit, cet humour ravageur qui rappelle la force et le tempérament de ces femmes, qui savent regarder leur pays, les hommes et leur destin en face, sans se mentir.

Cette capacité à plonger dans l’intimité de personnages au franc-parler et à l’humour comme une lame de rasoir, fait penser au cinéma de Kechiche; auquel vient s’ajouter le véritable courage dont Ayouch faisait déjà preuve dans Chevaux de Dieu, où il livrait un portrait saisissant d’un autre de ces fléaux qui ronge son pays de l’intérieur, en revenant sur les cinq attentats-suicides qui avaient eu lieu en 2003 à Casablanca.

 

Zin-li-fik-680x365

Partagez

Auteur·e

etageres