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« Big Eyes », de Tim Burton

Sous le kitch, l’escroc.

Tim Burton retrouve le souffle et l’énergie qui lui faisaient ces derniers temps défaut, dans l’exploration de cette histoire de manipulation interprétée par Christoph Waltz et Amy Adams.

Le portrait d’un enfant aux yeux démesurés est imprimé, reproduit à plusieurs exemplaires.

Nous nous focalisons sur la signature de l’artiste, précédée de l’emblème bien connue du copyright : «©KEANE », tracée du pinceau qui dessina l’enfant, « ©KEANE » à foison, à répétition, sceau de la propriété artistique et du droit d’auteur.

Tim Burton choisit de délaisser un temps le monde fantastique d’une fantaisie qui ne séduisait plus pour se plonger dans les mécanismes psychologiques de la relation de deux personnages qui existèrent vraiment : Walter et Margaret Keane.

Margaret Ulbrich de son nom de jeune fille (excellente Amy Adams dans un jeu tout en introversion) est née en 1927 aux Etats-Unis. Fraîchement divorcée, elle vient de déménager de la banlieue désespérée (l’occasion pour Burton de renouer avec une esthétique « Edouard aux mains d’argent ») pour s’installer avec sa petite fille à San Francisco.

Elle est peintre, mais il n’est pas aisé pour une femme en ces années soixante de subvenir seule aux besoins d’une famille monoparentale. Elle se retrouve donc aux rendez-vous des artistes, sur une promenade qui pourrait être l’équivalent de la place des Tertres de Paris, où elle expose ses toiles, à côté de ses semblables. A côté de Walter Keane, précisément, homme séduisant dont les croûtes viennent rivaliser de kitsch avec celles de Margaret Ulbrich, des portraits de gamins tristes, les yeux noirs comme des gouffres béants, qui tantôt portent un chat, tantôt caressent un chiot, et se hissent parfois de derrière un muret pour contempler le malheur du monde.

Keane remarque la candeur de cette Margaret aux airs de Marylin, sa timidité polie qui la pousse à accepter de vendre ses portraits pour un maigre dollar. Très vite, il veut la prendre sous son aile, lui montrer comment vendre – non seulement une toile, mais une histoire. Marketer le produit, créer l’envie, le désir chez le potentiel acheteur.

Margaret tombe sous le charme.

Et c’est alors que le film trouve tout son intérêt: Burton nous donne à voir un pervers à l’œuvre, un être séducteur abusant de sa proie, la vidant de son suc pour s’en nourrir, buvant son sang et s’appropriant son art. Un parasite, un être maléfique ne vivant que pour sa propre gloire.

En confiant le rôle de Keane à Christoph Waltz, Burton donne au comédien l’occasion de jouer ce qu’il interprète le mieux. Si son personnage reste très proche de celui de Hans Landa dans Inglorious Basterds (dans les ressorts, les mimiques, et l’énergie recherchée), il n’en est pas moins juste, drôle et séduisant. Nous rions au morceau de bravoure et à l’exercice de style auxquels réalisateur et acteur s’adonnent ensemble, et partageons le plaisir que Waltz semble prendre à jouer.

Burton, qui ne parvenait plus à convaincre, semble cette fois ne pas se prendre au sérieux, et réussit ainsi à nous entraîner avec lui dans ce nouveau récit: une histoire de possession, de manipulation, un abus de faiblesse rythmé qui nous réjouit, nous divertit, joue sur plusieurs niveaux d’interprétation, et nous fait simplement passer un bon moment.

 

Big Eyes

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Auteur·e

etageres