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L'art de perdre - "Still Alice"

Le couple de réalisateurs Wash Westmoreland et Richard Glatzer offre à Julianne Moore un rôle criant de vérité, celui d’une femme atteinte d’une très précoce maladie d’Alzheimer, qui lui valut  l’Oscar de la Meilleure Actrice, amplement mérité.

 

Comment traiter de la maladie d’Alzheimer?

En prenant une femme dans la force de l’âge, une érudite, linguiste émerite à l’Université de Columbia à New York, qui a réussi à jongler avec une carrière éminente, une famille composée de trois enfants et un mari, amoureux comme au premier jour: Docteur Alice Howland, belle femme aimante et intelligente, lumineuse présence appréciée de tous.

Alice qui, sa vie durant, a construit sa personnalité et sa réputation sur sa maîtrise de la langue, sur la force de son esprit et de ses facultés intellectuelles hors du commun.

Nous prenons donc cette Alice et la plaçons au lendemain de son cinquantième anniversaire, dans une conférence à Los Angeles dont elle est la principale invitée, qui porte sur la relation des noms aux neurones. Alors qu’elle a pris la parole, détendue, à l’aise, dans son élément, et qu’elle entame sa présentation, soudain, c’est le néant.

Nous scrutons avec elle la salle, devenue légérement floue, les visages, lisses, sans aspérité ou relief auxquels s’accrocher: notre esprit est le sien, cotonneux, empli d’air, vide. Rien.

Alice n’a pas seulement oublié le mot qu’elle voulait prononcer, mais elle se demande presque ce pourquoi elle est là, ce qui se passe, qui sont ces gens qui la dévisagent patiemment, attendant qu’elle poursuive ce qu’elle avait commencé.

Cela ne dure qu’une seconde, et elle a le temps de lancer une boutade, pour détendre la tension minime, petite pirouette lui permettant d’enchaîner: “Je savais que je n’aurais pas dû boire cette coupe de champagne.”

Mais Alice n’a rien bu, et elle le sait.

S’ouvre alors devant elle un nouveau monde dont elle ne connaît rien, qu’elle n’aurait jamais imaginé: celui dans lequel elle ne peut plus se reposer sur elle-même, ne peut plus compter sur sa tête, sur sa maîtrise, sur sa pensée. Celui où elle sait à présent que s’effacent sa vie, ses repères et ses souvenirs.

Alice doit désormais faire preuve d’une nouvelle maîtrise, celle de l’art de perdre. Perdre l’image que l’on avait de soi, perdre celle que l’on était, que l’on se savait être, perdre la mémoire, la connaissance de ce qui fait son existence, perdre les noms et les visages, les mots et les habitudes, les réflexes et les lieux. Tenter de rester le plus longtemps possible fidèle à soi, vivre dans l’instant présent, profiter des moments de joie.

Le film démarre très fort, nous plongeant immédiatement dans une empathie viscérale pour ce personnage d’Alice porté par la magistrale interprétation de Moore, avec lequel nous découvrons chaque étape de la maladie de manière très intime, et la fin de la vie telle qu’on la connaissait.

Le rythme baisse ensuite par moments et l’intrigue ne réserve pas de surprise, mais nous restons touchés par les différents aspects thématiques abordés: le rapport aux autres, à la société, à la profession; le rapport à son identité propre, à l’image que l’on a de soi et de son existence. Le rapport à la famille, à la filiation, au remords. La préparation du futur, de la vie une fois que l’on sera parti. La réaction des proches, également, tous semblablement touchés. Depuis celle du mari aimant (Alex Baldwin) qui ne parvient finalement pas à réellement faire face mais se réfugie dans le travail, jusqu’à celle de sa fille cadette, la rebelle Lydia (magnifique Kristin Stewart) à la vocation d’actrice, ce métier où la mémoire est un pilier, qui sera contre toute attente le soutien le plus présent de sa mère.

Une relation mère-fille d’une grande justesse, qui donne au film son sens, et sa conclusion: c’est de l’amour que traite “Still Alice”, au plus profond.

 

 

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Auteur·e

etageres