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"Whiplash" de Damien Chazelle

Tu deviendras Charlie Parker, mon fils

Le film qui a raflé les Oscars du Meilleur Acteur dans un Second Rôle, Meilleur Mixage Sonore, et Meilleur Montage divertit, mais ne bouleverse pas.

Qu’est-ce qui fait le génie, le talent? Faut-il croire en soi, être soutenu dans le plaisir et la créativité, ou suer sang et eau dans la rage et la révolte pour parvenir à ce qui fera de nous une star, une légende?

Long travelling avant dans un couloir. Nous approchons d’Andrew Neiman, qui s’entraîne seul sur une batterie du Schaffer Conservatory of New York, l’une des meilleures écoles de musique du pays.
Il est pris par son jeu, passionné par le rythme et le roulement qu’il parvient à tirer de la peau tendue de ses toms et de sa caisse claire. Plongé dans l’effort et la concentration, il remarque trop tard n’être plus seul dans la pièce: un homme est entré, grand, musclé, le crâne rasé, entièrement vêtu de noir, qui se tient devant lui, droit, et le regarde. Cet homme, c’est Terence Fletcher (J.K. Simmons, dans le rôle qui lui valut l’Oscar du Meilleur Second Rôle), l’un des professeurs les plus connus et les plus redoutés.
Aussitôt, un rapport particulier s’instaure; un échange fait de questions, de provocations, d’ordres: “Montre-moi ce que tu sais faire: Double time swing.”
Le bras levé, dans un geste qu’il répétera tout le long du film, le muscle bandé, les veines saillantes, il contrôle la musique, la fait naître ou cesser selon les mouvements de sa paume, les tensions de son poing.
Fletcher a une obsession, une idée directrice: repérer les meilleurs musiciens et leur faire dépasser leurs limites.
Une anecdote le conforte dans cette mission qu’il s’est donnée: celle qui veut que Jo Jones ait un jour lancé à la tête de Charlie Parker une cymbale, pour le punir de la médiocrité de son jeu. Parker, accablé, rentra chez lui pleurer toutes les larmes de son corps, mais au réveil le lendemain, se remit au travail et joua sans relâche jusqu’à devenir le “Bird”, et à trouver sa place parmi les étoiles.

C’est là la motivation profonde du personnage de Fletcher: faire naître les Parker et les pousser à bout, pour leur faire découvrir ceux qu’ils sont réellement. Mais c’est là aussi que le film trouve ses limites, en flirtant parfois avec la caricature dans le traitement de cette thématique universelle.
Chacun de nous a connu de ces êtres violents qui usent et abusent de leur pouvoir pour humilier, blesser, briser. Fletcher hurle, injurie comme le Sergent Hartman dans Full Metal Jacket, casse, fait jouer ses musiciens jusqu’à ce que les cymbales se couvrent de leur sueur, et les peaux tendues de leurs instruments de leur sang.
Ce sont ces rapports de haine, de fascination réciproque et perverse, qui nous touchent et nous intéressent. Mais l’exploration de ce sujet passionnant reste superficiel, les rôles relativement figés dans la convention, l’attendu.
Réalisé dans un montage efficace, “Whiplash” divertit sans éblouir, prend sans surprendre.
Si le film traite du génie de manière un tant soit peu stéréotypée (“il faut souffrir pour accoucher de son talent”), il en manque lui-même pour véritablement marquer l’histoire.
Un film qui remplit sa mission, celle de divertir un public divers et large, mais sans véritablement se plonger dans ce qui fait la grande et belle complexité de son sujet.

WhiplashSimmons

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Auteur·e

etageres