Crédit:

Ecrire la drogue à Berlin

Je tente d’écrire la drogue à Berlin.

Mais je tourne en rond, je n’arrive pas à m’en sortir.

Quel est le mieux, quel est le pire? De qui, de quoi parle-t-on?

Où est le vrai, le faux? Où l’imagination?

 

Arrivée dans cette ville comme une autre de ces vierges, la poudre aux yeux et la merveille au cœur.

A petite dose, on y croit, on y aime, on adore s’y abandonner.

Mais quand le rêve devient quotidien, nuit sans fin, alors quoi? Vit-on tous dans l’illusion, dans la mauvaise réflexion du miroir?

 

Je repense à ce conte ancien, à ce film visionné petite. La Reine des Neiges. Bien avant les chants et les cris d’amour en couleur. La Reine des Neiges, Andersen, et les décors de papier.

Elle descendait ainsi sur terre, parée de mille feux, pour mieux s’assurer de son pouvoir sur Kay. Tapé dans l’œil. Mis plein la vue. Un flocon plus fou que les autres, cristal carnassier, et le voilà charmé, parti, pris, ensorcelé.

Vision déformée, on voit plus le monde pareil. Le beau devient laid, la bonté horreur.

 

Et telle est la question: qui tient le miroir? qui a un cristal dans l’œil?

Dans cette ville de paillettes et de boules à facettes, dans cette ville où les toilettes sont passage à vide, chemin d’artifice vers une nouvelle ascension, celle qui a toutes les couleurs, toutes les formes, toutes les odeurs, celle qu’on sniffe, gobe, tape, avale, mélange, enrobe ou laisse choir, dans cette ville de pupilles, langues, mâchoires et grincements de dents, qui, oui, qui le tient, le miroir?

N’est-ce pas moi après tout qui déforme tout? Eux qui savent et moi qui devrais arrêter de savoir? Besserwisser? Klugscheisserin?

J’essaie de comprendre et d’en parler, j’essaie de savoir et de raconter. Écrire la drogue à Berlin.

Mais qui a raison? Qui a tort? Et n’est-ce pas moi qui, un flocon dans l’œil, finit par voir le laid là où est la vie? Moi qui prend un rhume pour de la coke, une fraternelle étreinte pour trop d’extasy?

Vivre à Berlin. Comprendre qu’ici, comme ailleurs, il y a de tout. Sortir de sa cage et éteindre le projecteur. Observer les gens vivre. Faire la part des choses. Se libérer de la Reine des Neiges, déposer les verres, ôter les lunettes et voir de ses propres yeux.

Cesser de guetter la pupille dilatée, de tirer de grands traits sur les traces encore fraîches du bar.

Tenter d’écrire la drogue à Berlin. Parler de ce qui est, non de ce que l’on a cru voir. Écrire son émotion, non un nouveau pamphlet.

Et l’hiver venu, fourrer son sac de gingembre et mouchoirs…

 

 

Red Open Air Photo: Jonas Steckel
Red Open Air
Photo: Jonas Steckel

 

Partagez

Auteur·e

etageres