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Méandres de moi (le mémorial de la Shoah)

Étendue grise, dans la longueur.

Comme une mare, un lac, une flaque. Plane, opaque, dans laquelle on ne se reflète pas.

Dans le mouvement du jour, de la vie, de la foule, pas pressé, pressant, passant, café, attaché, cas stressant, on ne le remarque pas, on passe à côté comme s’il n’existait pas. En voiture, à vélo, sans les touristes. Rien. Un détail dans la ville.

Mais là, aujourd’hui, devant soi.

Un pas.

On y pénètre.

Tout d’abord tout va bien. On ne s’y enfonce que peu.

Les pierres ont taille humaine, naines, même. Sympathiques et attentives, elles nous dirigent, nous tracent le chemin. Tout droit mon grand, ou si t’as envie, pique à gauche, tu verras ça fait labyrinthe.

On s’amuse à tracer la courbe, ou plutôt le méandre. On aurait presque envie de jouer à cache-cache. T’es qui toi t’es qui là… et les rires pointus fusent.

Mais bientôt le soleil disparaît. Les colonnes sont là. Forêt. Pins. De pierre.

Quel monde?

Avancer dans les nuages, dans les ténèbres, dans l’entre-deux. Qui sont ces voix?

Où sont ceux qui il y a un instant me précédaient?

Je suis seule. J’entends, près de moi, invisibles et présentes, des clameurs. Sont-ce là les souvenirs? Les plaintes? Les âmes?

La rumeur de la ville s’est tue, faisant place au silence des entrailles de la terre. Entrailles de pierre. Grises. Pétrifiées. Les âmes des prisonniers, les âmes des torturés, les âmes des sacrifiés.

Je pleure, j’ai envie de pleurer. Mais j’avance. Je marche.

J’aperçois mon amie, mon phare. Elle est là. Encore. Comme moi silencieuse. Comme moi émue.

La nuit s’est tue. Pénétrante. Nous ne pouvons plus rire, ou jouer, comme les enfants que pourtant l’on entend.

Pfuit, il en passe un devant moi, pour disparaître aussitôt.

Impression, illusion, projection? Revenant? Désiré?

Une boule au ventre. Un poids au cœur. Nous avançons, côte à côte et pourtant séparées. Nous apercevant par bribes, par éclats, par éclairs.

Il nous faut remonter.

Comme il y a longtemps, dans le ventre de la forêt mexicaine, comme il y a longtemps, quand l’orage arrivait, comme il y a longtemps, nous détacher, nous séparer de ce cactus qui de ses palmes nous protégeaient. Comme il y a longtemps, remonter, écouter l’alarme du ventre, comme il y a longtemps, retourner à la lumière, écouter le cœur battant, l’avertissement d’un autre temps.

Nous remontons. D’un pas pressé, d’un pas haletant. Remontons.

A la lumière de la nuit, à l’électricité de la vie.

Nous remontons. Nous en sommes sorties. Et avec nous, toutes ces âmes, toutes ces voix, tous ces émois, ces émotions, ces sentiments qui appartiennent à d’autres, avec nous partagés. Avec nous ces êtres, ces histoires, ces souvenirs. Avec nous ces vies, ces amours. Ces séparations.

Nous nous regardons. Nous sourions.

Devant nous, il est là.

Le mémorial de la Shoah.

 

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Auteur·e

etageres